Süleyman adorait le billard. Il avait découvert ce jeu à Paris, et depuis il en raffolait. Ses anciennes amitiés savaient qu’il se repérait au bars et aux billards, quelque chose comme « la troisième rue à droite du bar machin » ou « en face du billard bidule ». Au moins les priorités du
Şehzade en exil étaient claires. Préférablement, s’amuser.
Bonne fourchette, il aimait aussi avoir une liste des meilleurs établissement pour se restaurer, et cela impliquait goûter tous les établissements de la ville, si nombreux soient-ils, de préférence ceux qui cumulaient les statuts. Fallait gagner du temps et être efficace.
Depuis 9h30 qu’il occupait les lieux. Cela faisait des semaines qu’il voulait tester le billard de cet établissement. Il y était passé plusieurs fois, mais toujours pressé il ne s’y était jamais attardé. Il avait bloqué la matinée exprès pour cela. Et avait déjà plumé trois pigeons.
Au départ, c’était calme. Il avait commandé des œufs brouillés, du thé, du café. Rien d’extraordinaire. Les œufs brouillés étaient le plat secret qui lui servait pour jauger la qualité de la cuisine.
Mais voilà. Il se trouvait que trois gugusses avaient envie de troubler la tranquillité matinale du prince. Thé et café, thé ET café. Premier prétexte pour chercher la diantre. Il les entendait se foutre de lui, « encore un étranger », « un bouffeur de patates certainement ». Ils avaient décidé de le surnommer « kartofel salat ». Avait-il l’air d’un allemand peut-être ?! D’un danois certainement pas. Puis ce fut le tour des œufs. Quoi les œufs ?! Y’avait pas de bacon, et ?! Pire, ils commençaient à supposer qu’il n’avait pas d’éducation, qu’il ne parlait pas anglais, qu’il ne savait pas jouer au billard.
La moutarde commençait à lui monter au nez. L’affront était impardonnable. Son honneur n’allait pas le subir plus longtemps. Il se leva d’un bond et s’approcha de leur table. Posa l’ensemble des monnaies qu’il avait sur lui, soit près de 3 livres, une pour chaque pigeon. «
I’ll take every each of you ». Les trois idiots se regardèrent sans comprendre «
At billiards. We are not savages, gentlemen ».
Il les pluma. Il les massacra. L’un d’eux n’eut même pas le temps de joué que Süleyman avait fini la partie. Les deux autres, ils eurent juste de la chance. Un cul pas possible. Ceci dit, il leur le laissa aucune chance de rejouer. Il ne fallait pas non plus abuser du hasard. Ni de sa patience. En quelques minutes donc, Süleyman avait rétablit son honneur, et avait gagné 9 livres, une somme en rien négligeable. Les trois gugusses ne s’attardèrent pas dans ce lieux, mais avant qu’ils ne passent la porte, Süleyman eu quelques dernières paroles à leur égards. «
By the way, it’s Kartoffelsalat. And you should try it ! » En plus de nuls, incultes.
Il regagna sa table, riche, mais, surpris. Son petit déjeuner qu’il avait laissé à moitié avait disparu. Zut, alors !
Le propriétaire dernière le comptoir lui fit signe et dressa son assiette à la barre. Il l’avait gardée au chaud le temps qu’il mette la raclé aux cons. C’est ce qu’il lui expliqua. Et lui resservit autant de café qu’il souhaita. Ces trois jeunes gens, il ne les appréciait guère lui non plus. Il entama la conversation pendant que Süleyman finissait ses œufs, louant ses capacités et lui posant quelques questions aussi. Les réponses étaient simple, le billard était la meilleure façon d’appliquer les maths et la physique, et une addiction indispensable quand on fait ponts et chaussées. Tout comme la caféine, le tabac et l’alcool. «
Good Lord » fit l’homme entre rires. «
You make bridges ! » résuma-t-il. C’était l’idée.
«
Actually, I destroy them. » avoua Süleyman s’essuyant la bouche. « Old story. » L’homme le poussa à la raconter. Il ne sut s’en empêcher, mais par précaution changea le contexte. Au lieu de la campagne anglaise, la campagne française. Et au lieu de Lawrence Davenport qui finissait à l’eau, un simple volatile qui passait par là. Süleyman et les volatiles, une longue histoire ça aussi, mais pour un autre jour.
«
You’re a crazy man ! » L’homme s’amusait bien avec Süleyman visiblement. C’était déjà ça de gagné. La matinée était calme depuis qu’il avait fait fuir les trois idiots et ils en profitèrent pour parler sans retenue.
Ce n’est que vers midi qu’un gentleman passa la porte et commanda un british breakfast. Süleyman avait déjà attaqué le vin avec le tenancier, et les cigarettes. Il avait migré du centre du comptoir vers un coin au fur et à mesure que les clients venaient et partaient. Le gentleman eu la bonne idée de prendre une queue. Süleyman sentait sa main le démangeait. Il entendit le doux son des boules frapper entre elles. Il prit son verre de vin et en but une gorgée. Non, non, il avait déjà détruit la journée de trois personnes… Bon allez, une petite dernière. Il serait gentil avec cet inconnu, promis, juré. Il s’y approcha avec son verre de vin et sa cigarette.
«
Good morning, Sir. » Il n’était pas encore midi donc c’était encore le matin pour quelques minutes. «
May I join you ? » Il posa son verre et sa cigarette dans le cendrier de la table à côté du billard. «
Adam Kurt » fit-il en tendant la main pour serrer celle de l’inconnu.
«
Be careful, my Lord. This man has already « relieved » 3 young man of their savings. » Le tenancier avait reconnu le statut de l’homme. Difficile de savoir si l’avertissement allait au Lord, au sujet de jeu rapide et efficace de Süleyman, ou à Süleyman lui-même qui n’avait pas reconnu le rang de l’homme.
«
Apologies, my Lord. In my defence I should said they were willing to bet. And they simply lost. I’m an honest man favored, for a moment, by fortune. Nothing else. But for a cordial game, no need for a bet, isn’t it? »
- Traductions:
"I'll take every each of you." => Je vais prendre chacun de vous.
"At billiards. We are not savages, gentlemen." => Au billard. Nous ne sommes pas des sauvages, messieurs.
"By the way, it’s Kartoffelsalat. And you should try it !" => Au fait, c’est Kartoffelsalat. Et vous devriez l'essayer!
"Good Lord" => Seigneur
"You make bridges !" => Vous faites des ponts!
"Actually, I destroy them." => En fait, je les détruis.
"You’re a crazy man !" => Vous êtes fou!
"May I join you ?" => Puis-je me joindre à vous?
"Be careful, my Lord. This man has already « relieved » 3 young man of their savings." => Soyez prudent, mon Seigneur. Cet homme a déjà «soulagé» 3 jeunes de leurs économies.
"Apologies, my Lord. In my defence I should said they were willing to bet. And they simply lost. I’m an honest man favored, for a moment, by fortune. Nothing else. But for a cordial game, no need for a bet, isn’t it?" => Toutes mes excuses, mon Seigneur. Pour ma défense, je devrais dire qu'ils étaient prêts à parier. Et ils ont tout simplement perdu. Je suis un honnête homme favorisé, pendant un moment, par la fortune. Rien d'autre. Mais pour un jeu cordial, pas besoin de parier, n’est-ce pas?