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Les Chroniques de Londres
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Outer Skin | Sujet libre

Victor Nitot
Victor Nitot
Joaillier
Rang sur le forum : Membre
Emploi : Orfèvre et miniaturiste.
Messages : 36
Date d'inscription : 11/05/2024


Message() / Ven 31 Mai - 17:46
Victor Nitot
Outer Skin | Sujet libre SfY3c

"Installé sur un banc au soleil, devant une petite auberge isolée toute environnée de chants d'oiseaux, Victor peignait le portrait d'une femme sur une bien étrange toile : une peau tannée. Autour de lui se massaient quelques curieux, adultes comme enfants. Il avait pour ainsi dire terminé et apportait les dernières touches. La femme du portrait, beauté mutine au port altier, n'était pas parmi eux. Tout ce petit monde était d'un sérieux d'enterrement, et pour cause. Ils étaient là au nom des morts.

Tout avait commencé deux jours plus tôt. Sam, le marin rescapé du naufrage, repoussait le moment de retourner chercher de l'embauche sur le port. Remis de son choc nerveux, il était finalement d'assez bonne compagnie, malgré sa tendance à parler sans y prendre garde dans son patois incompréhensible. Victor l'avait envoyé s'enquérir à la maison close de West End au sujet d'un certain crime qui y avait eu lieu, et surtout de l'enquête à ce sujet ; il n'osait pas s'y présenter lui-même. Sam lui donnait les nouvelles - rien de particulier, personne n'avait rien vu et les soupçons les plus extravagants allaient bon train, dans toutes les directions imaginables - et il en vint à parler d'une dame de la nuit que Victor connaissait, Junine Cecil. Elle lui avait souvent servi de modèle lors de ses nuits sur place, elle avait de magnifiques cheveux noirs aux reflets langoureux et il la faisait poser dans diverses positions pour s'entraîner à représenter cette matière fluide. Au fil des années, elle était devenue presque une amie. Elle demandait justement quand on le reverrait à la maison close. Elle avait des soucis, et apprécierait fort d'être payée à ne rien faire pendant quelques heures.

Son métier était une sorte de tradition familiale. Sa mère l'avait exercé avant elle, et dans son enfance, l'avait confiée à une aubergiste du Borough, chez qui la petite Junine avait travaillé comme servante dans son adolescence. A présent, sa mère vieillissante avait quitté la City et repris la tâche de servante tandis que Junine venait vendre ses charmes, et à son tour, confiait les enfants de son péché aux bons soins de la même auberge. Or, sa mère avait disparu. Sam expliqua qu'on l'avait envoyée acheter le poisson au port et qu'elle s'était comme envolée avec l'argent. Quelqu'un parlait vaguement de l'avoir vue monter à bord d'une embarcation, mais n'était pas certain... Bref, on craignait le pire. Quelle qu'ait été sa vie, on ne la jugeait pas vénale au point d'abandonner ses employeurs et sa famille pour partir courir l'aventure avec une poignée de monnaie en poche.

Et puis, en fouillant ses affaires à tout hasard, on avait retrouvé une pelisse, comme en ont les vieillards pour adoucir leurs rhumatismes au retour du mauvais temps ; une peau de loutre tannée, marquée à ses initiales. Ce n'était pas un indice. A peine un maigre héritage. Mais Sam avait son idée. "Dans le Nord, on a ces histoires de changeurs de forme... Des hommes et des femmes séduisants qui sont en fait des animaux marins capables de prendre forme humaine. Mais tôt ou tard, même mariés, même parents... ils doivent redevenir ce qu'ils sont."

Oh. Voilà pourquoi il reliait cette superstition au destin d'une femme de mauvaise vie, dont les enfants n'avaient pas de père sur cette Terre. "C'est une malédiction ?" s'enquit curieusement Victor, quoique ce genre de conte lui donnât quelques frissons inexplicables. Il avait d'autres préoccupations, qui résonnaient sinistrement.

"C'est juste leur nature. Mais oui, on peut le voir comme ça si on veut, parce que leurs histoires d'amour finissent souvent mal."

Juste ce qu'il n'avait pas envie d'entendre. Victor était terriblement sensible à ce genre d'avertissements du destin, depuis quelques jours. Il avait commis une faute grave, lui-même causant la disparition d'un être qu'une famille quelque part avait peut-être pleuré... et le navire portant Sam avait coulé corps et biens, comme pour le punir, n'épargnant que cette âme qu'il gardait à ses côtés un peu par superstition. Après réflexion, il demanda à mi-voix : "Et comment peut-on les en délivrer ?"

"Oh, ça dépend des versions. Parfois par le feu. On vole leur peau d'animal qu'ils cachent dans un coin pour venir se balader à terre, et on la brûle. Mais est-ce qu'ils se sentent délivrés ou piégés ? Allez savoir."

Et maintenant, Victor peignait le portrait de la défunte lors de sa prime jeunesse, sur les indications de ses proches et d'après la semblance de Junine. Ayant conversé avec eux de cette mystérieuse légende, il avait convenu de cette procédure un peu au hasard, pour leur apporter une forme de paix davantage que pour produire un quelconque effet matériel. Faire quelque chose, si absurde soit-il, paraissait plus convenable que de simplement demeurer dans l'expectative et la confusion, et ce peut-être à jamais.

Il avait déjà peint des morts, à leur veillée funèbre ou en se basant sur de précédents portraits, car c'étaient des gens fortunés ; mais jamais de cette façon, tel un officier de justice qui cherche à représenter le suspect d'un crime d'après les déclarations des témoins. Et surtout, jamais en sachant que son oeuvre, une fois terminée, serait cérémonieusement déposée dans les flammes. Tout cela lui donnait l'impression de prendre part à une cérémonie païenne, et il se sentait déjà bien assez maudit lui-même comme cela, mais il devait suivre cette aventure jusqu'au bout. D'ailleurs, au diable sa relation avec les morts, quelques vivants comptaient sur lui.
Les vivants ne peuvent pas simplement laisser partir les morts. Est-ce que les morts se sentent appréciés, ou piégés ? Allez savoir.


Hanté par cette pensée, il regarda le petit groupe emporter son croquis vers le fleuve. Il ne les accompagna pas. Le reste était intime à leur petit groupe, auquel il n'appartenait pas réellement. Il resta sur le banc devant l'auberge, écoutant la rumeur apaisante de l'activité au long de la route, et se recroquevilla sur un autre travail. En souvenir de cette étrange aventure, il se composait un médaillon du même portrait, qu'il conserverait pour s'assurer que ce n'était pas un rêve. Quelle jolie femme... et elle aurait aussi fait un joli garçon, se dit-il malgré lui. Il avait beau prendre toutes les bonnes résolutions, il ne pouvait non plus se détacher de sa nature.

De ces profondes réflexions, il fut soudain tiré par le son d'une roue qui se prenait dans une ornière. Hélé par quelqu'un qui le prenait sans doute pour un employé de l'auberge, il se leva machinalement pour aider à dégager le véhicule embourbé, abandonnant le médaillon sur le banc.

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Outer Skin | Sujet libre Saerh

well I hope that I don't fall in love with you

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