Meeting at the summit (ft. Juliet)

@Juliet Blooming & Cordelia Blooming

Meeting at the summit

Cordelia était pour le moins choquée qu’un bal ait été organisé si tôt après le dramatique incendie du marché couvert, et plus encore que son père et sa soeur aient jugé approprié de s’y rendre. Pour tout le monde, la vie devait continuer, Juliet trouver un beau parti. Même si elle le comprenait et espérait que son aînée trouve enfin chaussure à son pied, la simple idée de s’y rendre lui avait serré le coeur, bien trop pour qu’elle puisse accepter de les accompagner. De toute manière, qu’aurait-elle pu y faire ? N’étant pas débutante, elle serait certainement restée assise dans un coin toute la soirée et Juliet n’avait sans doute pas besoin d’elle pour faire sa promotion. Elle était éblouissante la veille, au moment du départ et elle brillait tout particulièrement dans ce type d’événement.

Comme toujours depuis la disparition de sa mère, la nuit avait été courte et comme pratiquement chaque matin, elle était sortie. Cette fois-ci elle avait évidé la chevauchée de peur d’être surprise par son père en sortant de la maison. Elle avait opté pour une promenade bien plus conventionnelle et était rentrée à temps pour le petit-déjeuner.



Il était à présent dix heures largement passées et elle se trouvait assise à la table de la salle à manger, devant une tasse de thé, tout en lisant le journal de la veille que quelqu’un avait laissé trainer. Le Baronnet quant à lui était parti depuis longtemps à son club, où il prévoyait de passer la journée. Quant à Ophelia, elle était allée rendre visite à l’une de ses amies qui l’avait invitée pour un pique-nique aux Vauxhall Gardens. Cordelia profitait pleinement de la quiétude de la maison pour lire tranquillement. Elle comptait plus tard retourner à ses sujets d’études dans le secret de sa chambre et y passer une bonne partie de sa journée.

Mais avant cela il était d’autres sujets dont elle souhaitait discuter, des sujets qui requéraient la présence de la principale intéressée, qui se reposait très certainement après une soirée de bal animée. Cordelia finit par percevoir des pas prendre la direction de la pièce où elle se trouvait. Nul besoin de lever les yeux pour reconnaitre la présence de Juliet. « Tu es enfin réveillée. » commenta-t-elle d’un ton détaché. Elle abaissa son journal puis le replia avec le plus grand soin en attendant que sa soeur prenne place. Elle le plaça sur la table devant elle et but une tasse de son thé encore chaud. « J’imagine que tu as passé une bonne soirée. »

Elle reposa la tasse dans sa soucoupe et se tourna enfin vers son aînée qu’elle jaugea de son regard naturellement froid. Même de bon matin et même sans être particulièrement apprêtée, elle était toujours d’une beauté éblouissante. La cadette était cependant plus intéressée par le récit des événements de la veille. La saison n’allait pas tarder à arriver à son terme et pour être franche, Cordelia craignait de plus en plus de faire ses débuts alors que sa soeur aînée, si belle et aussi attirante qu’un aimant était encore sur le marché. C’était là quelque chose qu’elle n’avait pas vraiment envisagé…

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Juliet et Jonathan étaient rentrés du bal avec le sourire. Le second, pour s’être changé les idées. La première pour tous ces hommes qui lui offraient de nouvelles perspectives, et lui promettaient de délicieux fantasmes.

Et la nuit fut bonne. Moins réveillée par sa propre toux, elle dormit profondément, fit des rêves agréables et décida de profiter de ses draps aussi longtemps que possible lorsqu’elle fut réveillée pour rêvasser. Elle se doutait, en sus, que Cordélia devait l’attendre pour écouter le débriefing de la soirée. Après tout sa cadette avait récemment décidé de se mêler un peu plus de ses affaires, ce qu’elle comprenait même si elle ne faisait pas ça pour elle. La faire attendre faisait partie de ses petits plaisirs et compensait un peu la pression qu’elle lui ajoutait.

Juliet consentit à se lever alors que la matinée était déjà bien avancée, surtout parce que son estomac criait famine. Sa bonne l’aida à se coiffer et à s’habiller et enfin, elle se pointa dans la salle à manger. Cordélia était assise à table, comme elle s’en était doutée, seule. Leur père devait être parti, et Ophélia devait se trouver dans sa chambre. Juliet avait bien mieux à faire que de se souvenir de l’emploi du temps de chacun, le sien étant largement assez rempli pour occuper ses pensées.

« Bonjour chère sœur, » fit-elle en réponse à son commentaire, ignorant ses habituels sarcasmes. Une habitude bien ancrée entre elles. Puis elle s’assit et se servit en pain et en beurre, et commença à tartiner. Un domestique ne tarda pas à remplir sa tasse de thé bien chaud ainsi qu'à lui apporter des œufs et du bacon.

« La soirée fut excellente. » L’aînée lui offrit un sourire hypocrite et n’en ajouta pas plus pour la laisser mariner volontairement. Allons Cordélia, pose donc un peu les questions, sinon c’est trop facile. Juliet, ayant fini de tartiner son pain, pointa du doigt le journal que sa sœur venait de replier.

« Quelles sont les nouvelles ? »

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Juliet, loin de se laisser impressionner, évoluait aussi gracieusement que d’ordinaire, prenant place à table tandis qu’on lui servait son petit déjeuner. Cordelia ne la quittait pas du regard, le visage de marbre tandis qu’intérieurement elle commençait à s’agacer. Il était déjà suffisamment pénible de devoir s’occuper des futures épousailles de son aînée, voilà qu’en plus elle devait supporter ses simagrées et ses manières. Elle prenait un malin plaisir à la faire mariner, c’était évident et le pire c’est que ça fonctionnait.

En réponse à sa question, Cordelia ferma le journal d’un coup sec. « Rien de neuf, ce sont les nouvelles de la veille. Il me semble que tu en as de plus fraiches à m’apporter. » Elle n’avait aucune envie de jouer à ce petit jeu là. Elle avait bien d’autres choses à faire, par exemple étudier seule dans la tranquillité de sa chambre. Pourtant, hors de question de perdre son calme, la belle blonde s’en réjouirait bien trop. La cadette fit glisser le journal sur le côté puis avala tranquillement quelques gorgées de son thé avant de reprendre, avec un sourire faussement aimable.

« Juliet, tu sais comme moi que le temps passe et bientôt la saison touchera à sa fin. S’est-il passé un quelconque événement remarquable ce soir qui nous permettrait d’espérer une heureuse issue? » En clair, était-elle proche ou non de se faire passer la bague au doigt, de préférence avant que Cordelia fasse elle-même son entrée dans le monde. De ce mariage dépendrait les chances de la cadette, et même de la benjamine. A contrario, si l’aînée ne trouvait pas époux, les opportunités de la brune se réduiraient à peau de chagrin. Face à Juliet (et même à Ophelia), elle serait condamnée une fois de plus à l’invisibilité.

Mais puisqu’il fallait être plus directe, elle le serait. « As-tu des raisons de penser que l’un de tes potentiels prétendants pourrait se montrer plus… sérieux? » Comme toujours, elle était entourée d’hommes qui lui faisaient la cour, mais il était plus que temps que l’un d’eux se déclare. Et en ce qui la concernait n’importe lequel ferait l’affaire.

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Cordélia et son ton de moralisateur. Elle ne savait que trop bien que le temps passait, elle était pressée, elle aussi, excessivement impatiente même. Elle ne voulait plus se réveiller un matin de plus dans cette maison pour prendre le petit déjeuner sous les questions de sa sœur. Même s’il était normal que Cordélia se préoccupe de ses affaires. Elle le savait, ne lui en voulait, mais c’était plus fort qu’elle : il fallait qu’elle lui réponde de façon sarcastique ou du moins, volontairement à côté de la plaque.

« Et bien, le Roi a complètement perdu la tête, mais je ne suis pas certaine que nous puissions espérer une issue heureuse. A part ça, la soirée fut excellente. Ce que j’ai déjà dit, » fit donc Juliet, entre deux bouchées de bacon aux œufs.

Elle lui sourit, porta sa tartine jusqu’à ses lèvres puis l’en éloigna en levant les yeux au ciel. Soit, un peu de sérieux et de bonne volonté.

« Par excellente, Cordélia, j’entends avoir dansé avec des gentilshommes célibataires et charmants. »
« As-tu des raisons de penser que l’un de tes potentiels prétendants pourrait se montrer plus… sérieux? »
« Oui et non, ma chère Cordélia. J’ai recroisé le Marquis de Berkeley, charmant et charmé qui m’a invité deux fois à danser. Et j’ai fait la rencontre très intéressante du Comte de Surrey, Lord Lightwood. Père a aussi fait en sorte que je croise le Père Howley. Je suis certaine que les trois ne tarderont pas à rendre visite à notre Père pour officialiser leur volonté de me courtiser. Je suis donc de fort bonne humeur, en plus des invitations déjà reçues ces derniers jours… » Dans le lot un certain vicomte qui l’avait invité à aller voir les courses dans quelques jours et d’autres qu’elle n’aurait pas dû accepter, car c’en était un peu ridicule : trop vieux ou trop laid pour elle. Mais elle voulait montrer à sa famille qu’elle faisait réellement des efforts, seulement ne pas se montrer sélective pourrait aussi la desservir.

Elle avait reposé son toast et regardait sa cadette avec sérieux, comme deux adultes capables d’avoir une discussion sereine. Un véritable miracle.

« J’ai des raisons de penser que j’ai mes chances avec plusieurs d’entre eux, ma préférence allant au Marquis et au Comte, mais la fin de la saison arrive à grand pas, Cordélia et je doute que l’un d’eux fasse sa demande d’ici là. Nous aurons à peine le temps d’apprendre à nous connaître... J’espère plutôt faire en sorte que Père les invite chez nous à l’automne, et être ainsi fiancée pour le début de la saison prochaine. Je vais tout faire pour, en tout cas, je te le promets. »

A dire vrai, Juliet n’avait jamais attendu une intersaison avec autant d’impatience. Elle se demandait juste ce qu’elle ferait s’il fallait qu’elle choisisse… Le Marquis et le Comte étaient très différents, mais tous deux avec un charme certain et pour le moment, elle ne les connaissait pas assez. Elle prit enfin une bouchée de sa tartine avant d’ajouter :

« L’autre bonne nouvelle c’est que le Marquis de Budehaven a montré publiquement notre amitié. Cela devrait faire taire les vilaines rumeurs. »

Et cela faisait du bien à la jeune femme de savoir que quelqu’un dans ce monde savait tout ce qu’il y avait à savoir sur elle et ne la voyait plus comme une ennemie à abattre. Maintenant, il ne semblait pas excessivement ravi qu’elle se trouve en compagnie du Marquis de Berkeley, détail que sa sœur n’a pas besoin de connaître.

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Durant un instant, Cordelia en oublia prétendants et futures épousailles. Elle écarquilla les yeux en direction de sa soeur. « Comment ça, perdu la tête ? Sa Majesté était présent ? » Apparemment elle avait manqué certaines choses en refusant de se rendre à ce bal. Sous-entendre publiquement que le Roi n’était plus tout à fait lui même pouvait être considéré comme un acte de trahison, mais entre ces murs elle en oubliait les convenances. Le simple fait que le Monarque soit apparu publiquement alors qu’il était officiellement souffrant avait de quoi marquer les esprits.

Pourtant Juliet semblait considérer tout cela comme un événement mineur. Mineur en comparaison d’un possible futur mariage, et Cordelia se fit plus attentive, notant mentalement les noms que sa soeur pouvait lui donner. Pas de fiançailles, mais des prétendants qui pouvaient s’avérer sérieux, par leur rang, leur fortune et les attentions qu’ils avaient envers la belle blonde.

Elle fut tout d’abord déçue que son aînée lui annonce de but en blanc qu’elle doutait que quoique ce soit se concrétise avant la fin de la saison. Mais après réflexion, peut-être n’était-ce pas une si mauvaise chose. « Voilà qui est sans doute pour le mieux. Loin des distractions de Londres et de la Saison, ils seront plus enclins à réfléchir sérieusement à leur avenir. » Leur avenir étant évidemment sa soeur. « Il ne faudra pas manquer de leur rappeler bien sûr que tu ne manques pas d’opportunité. Un peu de compétition ne fera sans doute aucun mal à ces messieurs. » Rien de mieux d’ailleurs pour les décider à se déclarer. Cordelia en était persuadée: dans peu de temps, Juliet serait mariée, et bien mariée. Elle serait sans doute insupportable de suffisance après cela, mais la brune s’efforçait de penser à tout ce que cette union lui apporterait, et à Ophelia. « J’évoquerai également l’idée à Père. Il ne devait pas être difficile à convaincre. »

Elle ne s’était pas attendue à ce que la blonde évoque le Marquis de BudeHaven, encore moins pour lui annoncer une réconciliation publique. Le visage de Cordelia se ferma malgré elle. Elle ne lui pardonnait toujours pas de s’être montré hostile, de les avoir ignorés de manière si évidente à leur retour de Norvège. Certes, il était contrariant de voir ses fiançailles échouer, mais on ne pouvait justifier une telle grossièreté des années plus tard. Et puis, il avait cruellement blessé son orgueil. Au-delà de ce penchant qu’elle avait eu autrefois pour lui (et qu’elle jugeait aujourd’hui ridicule), elle avait cultivé envers lui une certaine forme d’amitié, et avait pensé cela réciproque à une époque où nul ne lui prêtait grande attention à part sa mère. Et Dieu sait qu’elle ne donnait pas facilement son amitié !

Les lèvres pincées, elle sembla s’intéresser au contenu de sa tasse. « Voilà une fort bonne nouvelle. Une telle rancune après tant de temps était ridicule, sans compter le tort que cela faisait à notre famille. » Elle était bien sûr fort loin de se douter des réelles raisons de ladite rancune. « Peut-être faudra-t-il que Père l’invite également, l’un de ces jours. » Cordelia avait elle aussi la rancune tenace et revoir le Marquis après une telle attitude était la dernière chose qu’elle souhaitait, mais elle se devait de penser avant tout à la réputation de sa famille: une invitation acceptée mettrait un coup d’arrêt aux dernières rumeurs qui persisteraient.

Néanmoins, un doute l’assaillit et elle jeta un oeil perçant à sa soeur. « Rassure-moi, tu n’as pas l’intention de le reconquérir ? » Elle se méfiait des lubies de Juliet et craignait que sa vanité la pousse à vouloir récupérer ce qu’elle avait perdu.  

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« Il a débarqué dans la salle de bal en pyjama ! Pour un peu, le Roi a créé une mode, et nous nous retrouverons avec tous les nobles en pyjama à la prochaine saison… Pourvu que ça ne soit pas le cas. » Juliet abordait ce sujet avec une légèreté inouï, alors que la scène l’avait touchée sur le moment, ou plutôt l’amour et la tristesse de la Reine face à son époux qui lui avait rappelé ses parents et la peine de Jonathan.
Pour parler de ses prétendants par contre, elle était bien plus sérieuse et souriait un peu, toujours ravie de plaire autant et de faire son petit effet à chaque évènement.

Mais Cordélia la prenait-elle pour une idiote, ou pour une femme inexpérimentée ? Elle avait toujours le don pour tourner les choses de façon moralisatrice, selon Juliet bien sûr, ce qui l’exaspérait au plus haut point. Elle leva alors les yeux au ciel.

« Évidemment ! La jalousie est une arme excessivement puissante, tu n’as pas besoin de me l’apprendre. Mais je suis contente de voir que tu as bien retenu tes leçons, ma chère Cordélia, te voilà fin prête pour l’an prochain. Et puis quel que soit mon fiancé, il t’aidera à trouver un bon parti, je n’en doute pas. »

Il était rare de voir Juliet détourner une conversation centrée sur sa formidable personne, et pourtant, c’est ce qu’elle fit en parlant de l’avenir de sa sœur. Bien que ce soit surtout pour l’ennuyer, car elle ne la connaissait que trop bien. Tout de même, l’idée que sa cadette fasse la prochaine saison commençait à piquer sa curiosité. Avec son visage blafard et insipide, elle ne risquait pas d’attirer moult prétendants, néanmoins, Juliet la sentait tout à fait capable de se trouver un fiancé de qualité - surement à cause de son côté sérieux et premier de la classe - et elle avait hâte de voir comment elle s’y prendrait. Peut-être ferait-elle même un meilleur mariage, ce qui agacerait forcément un peu l’aînée pour l’attention que cela lui retirerait, mais ma foi, tant que c’était elle qui avait le plus bel époux… Et de cela, elle ne doutait jamais.

Et puis alors qu’elle évoquait Adrian tout en songeant aux débuts de sa cadette, l’idée percuta son esprit. Le Marquis restait célibataire, sa sœur arriverait bientôt sur le marché et ils s’entendaient assez bien, lui semblait-il… Alors… Mais elle se sentit d’abord en colère : Si elle n’avait pas pu l’avoir, aucune Blooming ne l’aurait ! Puis elle eut envie de rire, tant l’idée lui parut absurde désormais. Cordélia et Adrian ! Impossible ! Un bel homme, certes, mais l’était plus que Lord Lightwood ou le Marquis de Berkeley ? Peut-être que ce n’était ni si stupide, ni si inacceptable, tout compte fait… L’idée avait encore du chemin à parcourir, mais si elle l’acceptait, elle pourrait même faire en sorte de les pousser l’un vers l’autre…
Après tout, il lui faudra bien s’occuper en attendant son propre mariage !

« Je compte bien le lui demander. Et non, je ne souhaite plus le reconquérir, je suis devenue raisonnable, Cordélia. Même si tu ne cesses d’en douter.
Adrian te plait-il ? »

Elle avait à peine remarqué l’attitude de sa sœur en évoquant le Marquis, et pourtant elle était entrée à pieds joints dans le sujet, même pas pour la mettre mal à l’aise mais par pur égoïsme de savoir sur quoi concentrer ses pensées, et peut-être ses efforts.

Quoiqu’il arrive, elle aurait encore besoin d’y penser afin d’accepter ou de réfuter la possibilité. Heureusement qu’elle aurait un peu de temps d’ici le début de la saison, il fallait au moins ça pour envisager de laisser son ex-fiancé à sa petite sœur.

Pensive, elle croqua à pleines dents dans une tartine.

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Cordelia écarquilla les yeux, absolument abasourdie par ce qu’elle entendait. Elle brûlait d’en savoir plus sur les événements du bal, mais elle eut tôt fait de se rappeler qu’elle ne pouvait compter sur Juliet pour discuter sérieusement de choses qui n’avaient pas directement trait à sa petite personne. Elle se renseignerait plus tard, auprès d’une source plus fiable.

Le sujet du mariage était de toute façon pour l’heure bien plus pressant pour leur famille. Elle se retint de lever les yeux au ciel face à la réponse de sa soeur. Loin de penser qu’elle voulait l’aider, la puinée était surtout persuadée que son aînée ne faisait que mettre en avant le pouvoir qu’elle aurait alors sur l’avenir de ses cadettes. « Je suis sûre qu’il n’y manquera pas. Du moins, lorsqu’il existera. » rétorqua-t-elle d’un ton sec. Elle l’imaginait déjà choisir pour elle les prétendants les plus vieux, laids, inintéressants possible, juste pour la faire enrager. Pour lui montrer que pour tout, elle gagnerait. Elle tâcha de ne pas spéculer ou y attacher trop d’importance, plutôt soulagée que Juliet ait au moins la décence de sembler prendre cette affaire au sérieux. « En attendant, concentrons-nous sur tes options, si tu le veux bien. » ajouta-t-elle en buvant une gorgée de son thé.

Thé qu’elle manqua de recracher lorsqu’il fut question d’Adrian. Cordelia pouvait être soulagée que cette interrogation ne se pose que maintenant. Des années auparavant, elle aurait dû mentir, aurait été déstabilisée peut-être, alors qu’à présent elle pouvait simplement regarder la blonde comme si elle avait soudainement perdu la raison. « J’espère que c’est une plaisanterie ? » En vérité, elle s’était toujours demandée si Juliet avait soupçonné le faible qu’elle avait eu autrefois pour son fiancé. Ou pire, si elle l’avait partagé au Marquis. Dans ses cauchemars, elle les avait imaginés rire d’elle dans son dos. Il était déjà bien assez humiliant de se sentir un penchant pour le fiancé de sa soeur, qui avait toujours tout eu.

« Tu as de ces idées, ma pauvre ! » asséna-t-elle d’un ton condescendant avant de reprendre sa tasse de thé. « J’avais de l’estime pour lui à l’époque et il me semblait être un futur beau-frère acceptable. Mais c’était avant qu’il insulte notre famille en nous ignorant de manière si publique. » Même dans l’hypothèse absolument ridicule où Adrian éprouverait soudain des sentiments à son égard, et dans l’idée peut-être plus absurde encore où Cordelia s’adoucirait et verrait renaitre ce qu’elle éprouvait adolescente, jamais oh grand jamais elle ne pourrait accepter d’être le second choix, une fois encore. Sa vie durant, elle était passée après Juliet et il était hors de question que ce soit le cas pour son mariage. Elle ne pourrait le supporter.

« Il était grand temps qu’il répare son attitude. Cette rancune après tant d’années était ridicule et il aurait pu nous faire grand tort. » Les rumeurs avaient existé, il n’aurait fallu que peu de choses pour que Juliet ne puisse plus jamais paraître en société, et le reste des soeurs Blooming avec elle. Vraiment, plus elle y réfléchissait, moins elle comprenait ce qui avait pu le pousser à adopter pareille attitude (ignorante qu’elle était de la vérité). L’orgueil masculin était-il donc si fragile qu’il avait soudain non seulement coupé les ponts avec toute la famille, mais en plus manifesté si clairement son hostilité ? Heureusement, tout cela était visiblement derrière eux, même si elle ne le lui pardonnerait certainement pas de sitôt.

Désireuse de changer de sujet, elle enchaina. « Parmi tous ces hommes, y en a-t-il un qui se distingue particulièrement ? » S’il était bon de garder plusieurs options en main, rien n’interdisait d’avoir une préférence, un homme sur lequel elles pourraient concentrer leurs efforts pour assurer à l’aînée une heureuse issue.  

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Alors qu'elle avait fini sa tartine, Juliet offrit à sa sœur un grand sourire, absolument franc, et légèrement taquin. La réaction de Cordélia à sa question pour le moins étrange lui fit tant plaisir qu’elle comprit qu’elle s’était trompée : Elle n’était pas complètement prête à laisser tomber Adrian, ou du moins à le laisser à une autre même si elle ne l’avait pas, surtout pas sa soeur. Elle aurait besoin de travailler sur elle, certes, mais en même temps, vu ce qu’il s’était passé à leur dernière entrevue privée… Depuis, elle était comme une alcoolique qui avait bu une gorgée d’un grand millésime : elle avait envie de se jeter sur la moindre piquette qui passait sous son nez.
La vie est une chienne.

Elle fut encore plus ravie lorsque Cordélia donna les raisons qui faisait qu’elle n’était pas intéressée.

« Il n’aurait jamais dû nous faire ça. » Elle acquiesça promptement, ne craignant pas de mourir étouffée dans sa mauvaise foi.

Juliet sourit, très satisfaite du fait que Cordélia ait choisi son parti dans le différend entre elle et Adrian. Bien sûr c’est parce qu’elle ne connaissait pas la nature de leur désaccord, car elle se désolidariserait alors certainement de son aînée.

« Je suis entièrement d’accord ! Totalement ridicule ! » Fit l’hypocrite, plongeant dans son thé pour ne pas rire. Quelle serait la réaction de Cordélia si elle savait ? Voilà qui lui posait question depuis des années, alors que leurs parents avaient décidé d’épargner les sœurs, mais aussi, pour protéger Juliet : moins de personnes connaissent la vérité, et plus elle est aisée de la garder enfouie. Juliet n’avait jamais ressenti l’envie de lui en parler, car elle s’imaginait que la brunette de la famille serait en profond désaccord avec ses actions et la jugerait durement. Voire même, s’en servirait contre elle.

Alors que regardez-les ces sœurs qui ne s’étaient jamais vraiment entendues ! Elles marchent main dans la main, affrontent l’avenir ensemble et s’entraident pour la même cause : obtenir un beau mariage et une belle situation. Il serait bien malheureux de gâcher ça au nom de la vérité. Alors même que le mensonge est une seconde nature chez la sublime blonde.

En plus, la discussion revint sur elle, alors que demander de plus ?
Et cette fois Juliet serait un peu moins avare en information. Elle s’étala un peu sur la table avec son coude, la tête posée contre sa main, l’air rêveur, alternant entre l’extérieur et sa cadette.

« Et bien… Je dois dire que le Marquis de Berkeley est loin de me laisser indifférente. Je l’ai croisé plusieurs fois au bal… Il était si prévenant et attentionné… Quand il a vu que mes soucis respiratoires me peinaient dans une danse un peu trop active, il a tout de suite proposé d’arrêter. Sans ces nouveaux jeux… Je serais restée autant que possible à ses côtés. Mais je n’aurais pas rencontré le Comte du Surrey, qui est un homme intrigant. J’espère avoir la chance d’apprendre à le connaître. Néanmoins, le Marquis… Quel… Quel grand homme ! Il m’a presque avoué qu’il avait un faible pour moi. » Juliet semblait aux anges, mais de façon sincère, même si certes elle le trouvait très intéressant sur un plan physique, elle s’était sentie bien avec lui quand la soirée n’avait pas été de tout repos, et même un peu stressante. Elle se sentait si laide quand elle toussait, et elle avait vraiment eu peur de faire une scène sans le vouloir. C’était bien la première fois qu’elle avait peur qu’on la regarde.

« Et puis il se trouve que Père s’entend à merveille avec la grand-mère de ce monsieur. Il l’a même invité à danser à la fin, et le Marquis m’a tenu compagnie en attendant qu’ils se décident à rentrer tous les deux. Cela m’a fait plaisir de voir père s’amuser. » Fit une Juliet plus sérieuse, et toujours sincère. Elles n’en avaient pas parlé, mais Juliet était réellement touchée par la peine de son père, le fait de le voir si triste n’avait fait que contribuer à sa remise en question. Et elle n’avait pas vraiment été d’une grande d’aide dans sa façon de vivre son deuil… Rien qu’à y penser, elle en eût les yeux humides et se détourna vers la fenêtre.

« D’ailleurs, Père a son… poulain, disons… Le père Howley. Pitié, je ne veux pas épouser un homme de dieu,  » fit-elle en levant les yeux au ciel, et pour changer de sujet. Elle avait un énorme à priori sur les pasteurs, et puis elle voulait un Comte, un Marquis, un Duc, un véritable titre pas juste être la femme d’un Père !

Soudainement et sans prévenir, elle se redressa et dévisagea sa cadette, d'un air un peu dur. Elle tenait le couteau à beurre dans sa main, même si ce n'était pas vraiment voulu, cela lui donnait un côté encore plus menaçant.

« J'espère que tu joues vraiment dans le même camp, Cordélia. »

Qu'elle ne s'avise pas de faire fuir le Marquis et le Comte pour la contraindre à choisir le Père ! D'autant que ça ne fonctionnerait pas, Sir Howley était clairement sous le charme de Georgiana. Ce n'était point une roue de secours.
Si elle faisait ça, Cordélia pourrait s'attendre à subir nombre sales coups lors de sa propre recherche. Juliet ne la laisserait jamais s'en sortir si facilement.

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Il était étrange que les deux soeurs soient en accord pour une fois. Comme quoi, l’impossible pouvait se produire. Au moins Juliet semblait avoir compris que le Marquis ne représentait pas le moindre intérêt à ses yeux, ce qui était plutôt une bonne chose. Elle était en tout cas satisfaite que ses ridicules suppositions n’aient pas l’air d’aller plus loin, mais elle espérait sincèrement que son aînée lui avait dit la vérité en prétendant ne plus avoir de vues sur Mountbatten. La première fois leur avait déjà causé assez de soucis comme ça. Sa soeur semblait tout comme elle totalement désapprouver cette attitude des plus disproportionnées au vu de la situation. Il était certes contrariant d’avoir vu ses fiançailles ne pas aboutir, elle voulait bien croire que son orgueil avec été blessé, voire même ses sentiments, mais les années avaient passé et il était plus que temps qu’il s’en remette. Elle soupçonnait cependant Juliet de jubiler d’avoir laissé une impression si durable sur un tel homme et ne pouvait s’empêcher d’être soucieuse à ce sujet.

Elle se contenta d’approuver d’un hochement de tête, n’ayant pas l’intention de s’attarder davantage sur le cas du Marquis, car elles avaient des affaires bien plus pressantes. Quelques mois plus tôt, Cordelia n’aurait pas imaginé oeuvrer ainsi pour l’avenir de cette soeur envers laquelle elle éprouvait tant de ressentiment. Mais après tout, après la mort de leur mère, il fallait bien que cette tâche incombe à quelqu’un et le temps pressait. Elle était heureuse de constater que son aînée semblait finalement prendre la chose au sérieux lorsqu’elle lui fit un compte rendu détaillé de ses préférences. Et il y en avait, on pouvait même dire que Juliet avait attirer l’attention d’hommes aux illustres pedigrees, une fois encore. Bien d’autres à sa place auraient été mises au banc de la société et se seraient satisfaites d’un mariage un tant soit peu correct, mais pas la jolie blonde, qui une fois de plus avait accompli de vraies prouesses. Pour un peu, Cordelia aurait presque été admirative, si elle n’était pas si agacée par tout ce cirque.

« Fort bien, voilà qui est très prometteur. Il n’y en a pas un qui se démarque davantage que l’autre ? » Si elle était tout à fait pour garder plusieurs options à disposition, il était bon selon elle d’avoir un objectif défini. Il était facile, à la place qu’elle occupait, de voir la situation d’un oeil froid et pragmatique, mais elle se demandait si elle parviendrait à en faire de même lorsque ce serait son tour. Peu importait pour le moment et elle balaya cette pensée de son esprit.

« Ce sont de très beaux partis, qui te garantiraient sans nul doute un superbe mariage. Le fait que Père s’entende si bien avec la famille du Marquis me ferait pencher en ce sens. » Elle lui jeta un regard interrogateur afin de savoir ce qu’elle en pensait. L’influence des familles serait la quasi garantie d’un mariage assuré. « Sois prudente tout de même, l’orgueil de ces messieurs peut si facilement être blessé… » Ce qui serait une catastrophe. Elle le savait, Juliet pouvait s’emballer (même si elle ignorait à quel point), se montrer parfois trop encourageante trop rapidement. Exciter un peu de jalousie ne pourrait pas faire de mal, mais déclencher une rivalité ne serait bon pour personne, et encore moins pour la réputation de sa soeur.

Elle ne s’était certainement pas attendue à la mention du Père Howley et manqua de s’étouffer avec le thé qu’elle était en train d’avaler. Si elle se retenait de rire, elle avait bien du mal à le dissimuler et à reprendre une expression sérieuse. « Vraiment ? Voilà qui est surprenant ! » Et c’était vrai. Elle avait toujours cru que Sir Jonathan espérait voir Juliet mariée à un homme de haut rang. Elle était celle qui avait les meilleures dispositions, avec Ophelia bien sûr. Et voilà qu’il envisageait pour elle un homme d’Eglise !

Imaginer sa magnétique soeur mariée au Père Howley ne manquait pas de sel, et elle aurait éprouvé une immense satisfaction, mais d’un point de vue pragmatique, elles n’y gagneraient rien de bon. Voir Juliet se montrer aussi menaçante (ou du moins essayer) était encore plus drôle que le reste, mais elle toussota afin de reprendre son calme. « Le Père Howley est certes un homme convenable, mais il est évident qu’un Marquis ou un Comte seraient bien plus à notre avantage. Crois-le ou non, je suis d’accord avec toi sur ce point. » Mais n’était-ce pas là une belle occasion de faire un peu peur à son aînée ? Elle prit soudain un air pensif. « Quoique… Bien qu’il ne soit pas aussi titré, il est tout de même le fils de l’Evêque de Canterbury! Je crois que tu ne devrais pas le négliger, après tout on ne sait jamais. » Et elle y voyait une source d’amusement infinie pour au moins les prochaines semaines.  

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« Le Marquis a une longueur d’avance, mais comme je t’ai dit, je viens à peine de rencontrer Lord Lightwood. »

Juliet acquiesça pour la famille, c’était effectivement un avantage non négligeable car si la belle famille avait des réticences, Jonathan serait bien placé pour convaincre Lady Berkeley. Elle leva les yeux au ciel ensuite, comme si elle avait besoin de ce genre de conseil, elle qui savait parfaitement s’y prendre avec la gente masculine…Et sans aucun doute bien mieux que sa sœur qui… Avait-elle déjà eu une discussion avec un homme ? Franchement ?

« Ne t’en fais pas, je saurais leur donner juste ce qu’il faut de ma personne, et ils savent bien comment cela fonctionne. »

Pour le cas du Père Howley, Juliet, elle, n’avait pas été surprise. Elle savait ce qu’elle avait fait, elle connaissait l’inquiétude de son père. Il avait joué du peu de relation qu’il avait, du fait de son maigre titre de baronnet, pour la présenter au candidat de son choix. Voyant que Cordélia en venait aux mêmes conclusions qu’elle, Juliet reposa son couteau à beurre et se para d’un large sourire, comme si elle n’avait fait que rigoler… Ce qui serait bien mal la connaître. Certes, après le décès de leur mère, elle avait accepté temporairement l’idée d’épouser un prêtre ou un petit baron, mais après ce bal et les possibilités qui s’offraient à elle… Elle ne voulait pas moins que ce qu’elle estimait valoir. Elle aurait son mariage de rêve, et personne ne saurait le lui enlever cette fois, pas même elle-même.

« Je n’ai pas l’intention de le négliger, de plus, outre sa position, c’est un gentilhomme d’agréable compagnie. Et puis, je le ferais pour notre père quoiqu'il en soit. »

Soudain, Juliet se leva de table.
Elle avait fini de manger et la journée promettait d’être interminable. Il fallait qu’elle aille se dégourdir les jambes et s’occuper en attendant l’après-midi.

« Si tu as fini ton interrogatoire, je vais aller me préparer et aller faire un tour au parc. Je compte sur toi pour sauter sur Père dès qu’il sera rentré. Il doit se tenir prêt pour accueillir mes prétendants. »

@Juliet Blooming & Cordelia Blooming

Meeting at the summit

Cordelia dut se retenir de lever les yeux au ciel, une fois encore. C’était typiquement Juliet, de désirer toute l’attention possible alors même que le Marquis semblait conquis et que leurs familles étaient en bonne entente. Mais non, voilà que sa soeur papillonnait en plus du côté du comte Lightwood. Elle ne pouvait qu’espérer que sa vanité ne ruinerait pas tout, car elle n’était pas certaine que la jolie blonde aurait une nouvelle chance après ça.

Au moins sa position semblait être plus raisonnable concernant le Père Howley et la cadette approuva d’un signe de tête. « Je te fais confiance. » Elle ne doutait pas que Juliet ferait tout pour décrocher un candidat bien plus titré, et que ce serait sans doute elle, Cordelia, qui ne devrait pas se montrer trop ambitieuse et se contenter d’un parti comme l’homme d’église. Mais en attendant, plus le mariage de sa soeur serait prestigieux, plus leurs chances seraient élevées, et rien que pour cela la jeune femme était même prête à faire des pieds et des mains pour influencer leur père.

Juliet finit par se lever, signifiant qu’elle en avait assez et le sentiment était de toute façon partagé.  Elle en avait entendu suffisamment pour avoir une idée des perspectives de sa soeur, il était inutile de prolonger davantage leur entretien. Elles s’étaient suffisamment parlé pour le restant de la journée, et de plus sans se sauter à la gorge (on pouvait au moins le leur reconnaitre).

« Très bien, je lui glisserai quelques mots quand il sera rentré. » répondit Cordelia en se demandant si son aînée avait sérieusement l’intention de lui laisser faire tout le travail auprès de Sir Jonathan. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne manquait pas d’assurance, persuadée qu’elle semblait être que les visites s’en suivraient. Enfin, au moins elle ne l’aurait plus dans les pattes pour le reste de la journée. Elle termina donc son thé et se rendit tranquillement à la bibliothèque, le temps que leur père rentre.