Remember always your end, and that lost time does not return.
☾☾ Londres, ce monstre gigantesque, grouillant de vie et de gens. Cet endroit vertigineux, qui vous fait tourner la tête, sans un vortex de couleurs, d’images et de senteurs. Oui, Londres est belle ; Londres est magnifique. Autrefois, Georgiana aurait donné tout ce qu’elle avait, pour retrouver son Ecosse natale, ses verts pâturages, ses falaises déchiquetées comme des os saillants. Aujourd’hui, elle n’aspirait plus qu’à passé inaperçu dans le vendre de cette géante, qui jamais ne dort vraiment. Ici, tous pouvaient l’ignorée et ne pas la voir. Ici, elle pouvait disparaitre dans le flot des manants et marchands. Ici, elle pouvait fuir sans jamais avoir peur de se voir rattraper.
Près d’un an avait passé, depuis la mort de Maximilien, mais encore aujourd’hui, elle ne pouvait parcourir un couloir de la demeure des Gilliam, sans craindre que le fantôme de son époux ne cherche à l’agripper et le tiré dans l’obscurité dévorante de la violence. Sa vie était faite de peur. Une peur étouffante et accablante, qu’elle voulait fuir. Georgie voulait enfin vire ou tout du moins, réapprendre à vivre. Et Londres s’y prêtait. Ici, elle n’était quasiment personne. Qu’une veuve d’une lointaine baronnie, dont le nom obscur ne remontrait guère à la surface avant longtemps.
Mais c’était sans compter sur son beau-père, le baron Gilliam. Devenue sa pupille, elle devait se plier à ses désidératas et ses projets pour elle. Mettre de côté ses envies de demeurer seule à jamais, avec juste le regret de n’avoir eu d’enfant. Fuir à jamais la présence des hommes, qui désormais l’effrayant, comme une biche traquée par la meute, dans une chasse à courre. La jeune veuve aurait voulu hurler, pleuré et se faire entendre, mais elle savait d’avance sa cause perdue. Si ce n’était le baron, ce serait sans doute son frère aîné, qui essayerait de la ramener à la raison. La raison… Elle voulait qu’à vingt-trois ans, Georgiana n’était pas encore assez ‘fanée’ pour désintéresser les bons partis. Qu’elle pût encore enfanter et donner un héritier à un homme dont ce besoin se faisait sentir. Qu’elle pût encore amener l’honneur à sa famille, par une nouvelle alliance florissante et permettre à son beau-père de faire de son époux, ou d’un de ses futurs enfants, le nouveau baron de Corsehill. Et dans tout ceci, Georgie savait qu’elle n’avait guère de mot à dire. Tout ce qu’elle espérait, c’était que le baron tiendrait parole.
Sa parole, de l’aider à trouver non seulement un parti convenable, mais également un homme qui la respecterait désormais. Un homme qui ne leverait pas la main sur elle pour un mot, un regard, un mouvement du petit doigt, qu’il jugerait déplacer. Un homme qui pourrait la faire se sentir femme et non animal traqué. Enfin, un homme qui serait heureux, lui, qu’elle soit suffisamment fertile, pour lui donner des enfants. En y pensant, Georgiana serra dans sa main gantée, le mouchoir qu’elle avait patiemment brodé, à chacune de ses fausses-couches. Ils étaient quatre. Quatre anges qui n’auront jamais vu la lumière sur les landes écossaise, et dont les ailes les avaient menés jusqu’au soleil directement. Quatre, comme le nombre de fois qu’elle avait hurlé à s’en déchirer les cordes vocales et pleurer tout ce qu’il y avait d’eau et de larmes dans son faible corps.
La veuve Gilliam serra un peu plus le mouchoir broder dans sa main, avant de poser ses grands yeux bleus sur la devanture de la modiste. Elle ne pensait pas un jour revenir ici. Cela faisait si longtemps maintenant. Cet endroit, elle l’avait fui après en avoir un peu trop confier à la modiste, sur la réalité de son existence. Pour conserver les apparences. Pour que cela ne s’apprenne pas. Pour ne pas que Maximilien ne la violente encore. Mais jamais ça ne s’était su. Cela n’avait pas empêcher son époux de la frappe. Cela n’avait pas empêcher que quelques semaines plus tard, il décrète que plus jamais, ils ne viendraient à Londres. La condamnant ainsi à la nuit, dans cet exile sur les terres honnies de Corsehill, la faisant haïr jusqu’à ses propres origines.
Accompagnée de sa femme de chambre, Georgiana descendit du fiacre et poussa un long soupire d’appréhension. Elle avait besoin de nouvelles toilettes pour la saison. Si son beau-père devait l’exhibée telle une jeune pouliche, il lui fallait être présentable. Il n’y avait pas une seule modiste qui arrive à la cheville de Marlène Beauchamp. C’était donc le seul endroit où Georgie devait se rendre et voulait se rendre. Poussant la porte de la boutique, elle entra discrètement, comme elle le faisait avec un naturel déconcertant depuis des années maintenant. Elle qui, il y a cinq ans encore, était pleine d’entrain, de vie et d’excès de joie, elle n’était plus qu’une ombre parmi les ombres. Ses yeux bleus parcoururent les tissus et les modèles présent, sans un mot, sans une expression d’envie ou d’intérêt. Elle venait pour des toilettes, sans savoir ce qu’elle voulait, ce qui lui irait… Mais elle les voulait les moins aguicheuses possibles, avec le moins de tissus capables d’être happé pour être tiré en arrière et prise au piège.
Lorsque des bruits de pas résonnèrent non loin, Georgiana sursauta et se retourna comme si on allait soudainement l’attaquer. Mais la stuppeur de l’instant, fut calmé lorsqu’elle constata qu’il s’agissait uniquement de la modiste. Le soulagement teinta ses très, autant que l’appréhension cela dit. «
Bonjour Madame Beauchamp… je… je… » Les mots moururent sur sa langue, ne sachant vraiment ce qu’elle pouvait ou voulait dire à cette femme, qui en savait tellement sur son vécu, au point qu’elle l’avait crainte à tort.