Virginia Hastings Rang sur le forum : Emploi : Co-propriétaire d'un salon de thé.
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| Histoire de dire up to the last moment Un passage peut heurter la sensibilité du lecteur. Celui-ci est mis en spoiler.« Alors vint le souffle de la tempête, il Était tyrannique et puissant : Il fondit sur nous de ses ailes rapides, Et nous chassa loin vers le sud. […] Alors vinrent ensemble brume et neige, Et il crut un froid prodigieux : Et la glace, à la hauteur de mât, flotta alentour Aussi verte que l’émeraude. » S.Coleridge
Un livre sur les genoux, une petite fille laisse son esprit vagabonder. Malgré les fées et les sorcières, les contes avaient pour elle un air de réel. Habillée de soie, elle vivait comme toutes les princesses dans un somptueux château. Ses romans faisaient bien pâle figure à côté du luxe et des fastes qui l'entourait. Une armée de valets et de domestiques fourmillait autour d'elle, préparant ce qui était annoncé comme le mariage de l'année. Son frère aîné, Lord Robert, allait épouser la fille d'un marquis. Pour la petite Ginny, cet événement était digne d'un mariage royal. Retranchée dans la bibliothèque en raison de sa timidité, elle ne pouvait empêcher son esprit de rêvasser. Nulle ombre dans ses rêveries, elle n'imaginait qu'un monde merveilleux rempli de chants, de couleurs et de joie. Protégée de la misère du monde par les murs de son château, elle ne pouvait s'imaginer la difficulté de la vie extérieure. Son esprit comprenait de manière abstraite qu'elle faisait partie des privilégiés. Elle avait conscience que les dorures et le marbre n'étaient qu'une exception, mais comment une petite fille pouvait-elle appréhender l'injustice qui régnait dans son royaume. Quelle époque merveilleuse où sa seule appréhension était d'être trop timide pour trouver le mari idéal ! Une vie de futilité et d'insouciance. Une vie méprisable à bien des égards. Mais une vie tellement douce qu'elle en venait à la regretter. La petite fille allait bien vite se rendre compte que les fins heureuses n'existent que dans les contes. La douceur, la modestie, la beauté se mariaient fort mal avec la cruauté du monde réel.
Le premier scandale arriva l'année de ses 14 ans. Son frère l'héritier avait osé pour fuir avec une simple bourgeoise. Si son frère s'était contenté de se marier sous sa condition, la famille aurait peut-être pu s'en remettre. Mais il avait également fait preuve d'un manquement flagrant aux règles du savoir-vivre, en mettant sa fiancée devant le fait accompli. Ginny ressentait de la peine pour les commentaires qu'avait dû subir la fille du duc. Pour les mauvaises langues et les commères, elle n'avait pas su retenir son fiancé. Ginny était toutefois bien trop accaparée par les critiques qui couraient à l'encontre de son frère pour se pencher plus en détail sur la question. Le Goujat, le Scélérat, l'Idiot. Autant de qualificatifs qui étaient désormais associés à Robert. Même les murs de son beau château n'avaient su étouffer la violence des ragots. Les cris outragés de son père et les pleurs de sa mère ne semblaient se tarir. Le scandale était dans toutes les bouches, sur tous les journaux. Cette célébrité, la famille Hasting s'en serait bien passé. Le comte avait procédé à une série de mauvais investissement et avait vraiment besoin de se refaire. Non seulement son fils avait décidé de ternir sa lignée avec du sang bourgeois mais il avait également porté atteinte à l’honorabilité de sa lignée. Dans une succession de grognements et de cris, le comte renia sans état d’âme son fils. La comtesse, elle, ne cessait de pleurer en se lamentant sur l’opprobre que son fils avait apporté sur la famille. Le conte se transformait petit à petit en tragédie. Ginny commençait à comprendre que la famille qu’elle avait tant idéalisée ne méritaient peut-être pas le piédestal sur lequel elle les avait placés. Si ses plus jeunes sœurs ne comprenaient pas tout ce qui se passait, Ginny et sa grande sœur, Victoria, étaient aux premières loges pour observer leur déchéance.
Comment un père pouvait-il tourner le dos ainsi à son fils ? Était-ce là l'honneur et la loyauté dont se félicitait la noblesse ? Il n'y avait nulle grandeur dans le fait de vilipender les autres. Si elle n'avait pas l'âge d'assister au bal et aux réceptions, les journaux permettaient à Ginny d'avoir un aperçu de la cruauté de la bonne société. Mais entre les deux familles, l'une possédée un comté et l'autre un marquisat. Là était toute la différence. Si les nobles ne pouvaient pas se permettre de se mettre la famille du marquis à dos, ils n'avaient pas tant de scrupules vis-à-vis des Hastings. Réduite au rôle de simple spectatrice, Ginny et sa grande sœur, Victoria, devaient se contenter de voir le scandale prendre de l'ampleur. Une semaine, deux semaines, un mois, deux mois. La saison venait de prendre fin mais les piques ne cessaient pas. L'ambiance familiale ne faisait que de se dégrader. Les rugissements de son père, les pleurs de sa mère, le silence de son frère, tout cela devenait insupportable à la jeune fille. D'autres signes inquiétants laissés prédire que le pire n'était pas passé. Elle chercha alors à tout prix à fuir ces murs dorés qui se transformaient petit à petit en une cage. Mais pour aller où ? Ses amies du pensionnat ne répondaient plus à ses lettres. Seul Harriet sembler se moquer scandale qui éclaboussait sa famille. Son père étant un simple marchand, elle connaissait parfaitement la méchanceté de la bonne société. Ses lettres, pleines d'ironie et de cynisme, étaient l’un des seuls réconforts de Ginny. À quoi bon rejoindre la bonne société, si c'était pour vendre son âme au diable ? Les mots de Harriet ne cessaient tourner dans son esprit. En quoi était-elle meilleur que ces Lord et Lady qu'elle critiquait ? Au fond, qu’avait fait Ginny ? Rien. Elle s'était contentée de son rôle de simple spectatrice. Elle s'était contentée de reporter la faute sur les autres : son frère, la fille du marquis, la société dans laquelle elle vivait. Mais au fond, n'était-elle pas la pire de tous ? Les autres agissaient. Son frère avait décidé de suivre les élans de son cœur. Son ancienne fiancée refusait de fuir devant les ragots, participant la tête haute à toutes les réceptions. La société utilisait cet événement inattendu pour se divertir. Et elle, elle se contentait ruminer ses idées noires. Alors pour la première fois de sa vie, la petite princesse rêveuse décida de devenir actrice de son destin. Peu importe les sentiments que cela faisait naître en elle, il fallait bien convenir que son frère était à l'origine de tout. Mais qui dans sa famille avait fait amende honorable ? Le comte qui avait lâché des excuses du bout de ses lèvres ? Visiblement, cela demeurait insuffisant. Certes, les deux familles avaient donné le change et avaient fait semblant d'être soudées lors des mondanités. Mais la réalité, c'est que les nobles connaissaient trop bien les rouages de la bonne société pour être dupes. Alors Ginny retrouva Victoria pour la supplier de l’accompagner jusqu'à la demeure du marquis, avançant qu’elles devaient faire quelque chose pour améliorer la situation. En quoi quelques belles paroles débitaient par des filles qui, finalement, n'avaient aucun pouvoir pouvait-il changer quelque chose ? Mais Ginny avait grandi avec l'idée que l'honneur de la famille était plus important que tout. Or, l'honneur n’exigeait-il pas de s'excuser platement ?
Voici comment elles se retrouvèrent, sa sœur et elle, dans le hall de la grande demeure du marquis de Buckingham. Toute la famille au grand complet était présente dans le salon pour accueillir leurs excuses. Mais en dehors de la fille du marquis, il n’y avait nulle reconnaissance dans leurs regards mais du dédain, de la colère, du mépris. Autant de sentiments dont Jenny n'était pas habitué d'être l'objet. Les larmes aux yeux, elle craignait bien vite de s’effondrer devant cette famille dédaigneuse. Il était cependant hors de question qu'elle les laisse voir la peine qu’ils lui causaient. Carrant les épaules, redressant la tête, elle posa sur eux un regard aussi serein qu'elle le pouvait. Ce qui, au vu des émotions qui l’assaillaient, restait assez peu convaincant. « Je vous remercie, Lady Victoria et Lady Virginia, d'avoir pris l'initiative d'une telle démarche. Mais vous conviendrez que cela est un peu tardif. Ma famille, nos familles, ont bien trop souffert de l'impudence de votre frère pour que cela suffise. Et je tiens à préciser que l'attitude du comte me déplaît également fortement. » Que pouvaient-elle répondre à cela ? Y avait-il plus que la fuite de son frère ? Dans l'incompréhension la plus totale, Ginny se contenta d'adresser une autre révérence profonde au marquis, imitant sa sœur. « Votre Grâce, je vous prie de nous excuser, ma famille et moi, pour l'attitude de mon frère et de mon père. » Les propos de sa sœur ne firent qu'augmenter l'inquiétude de Jenny. Cela semblait confirmer qu’il y avait plus que le mariage de son frère. Comment réparer tout cela ? Dans sa naïveté, Ginny décida d'avouer son ignorance. « Si je suis trop jeune pour saisir tous les tenants et les aboutissants, je supplie Votre Grâce de laisser notre famille réparer son erreur. Je serai prête à tout pour répondre à vos attentes. » Ce fut avec un regard empli de pitié que le duc secoua la tête. « Malheureusement il n'est pas en votre pouvoir de laver ce déshonneur. » Sur cette phrase, le marquis tourna les talons, marquant ainsi la fin de l'entretien. Le reste de la famille l’imita. Seule sa fille marqua un instant d'hésitation avant d'être entraînée par son frère. Et voilà comment Ginny se rendit compte qu’agir avec honneur ne suffisait pas à résoudre tous les problèmes qui se présentaient à elle. Elle s’était abaissée pour rien.
Il ne fallut qu'une journée aux journaux pour apprendre la démarche des sœurs Hastings. Comme si Ginny n'avait pas eu suffisamment de désillusion, les rubriques mondaines présentèrent cette visite comme le signe du déshonneur du comte et de sa femme. Quelle lâcheté d'envoyer ses filles mener ses propres combats ! Ce fut la première fois de sa vie que Ginny fut frappée. Dans un accès de rage qui montrait toute sa peur, la main de son père s'était abattue sèchement sur sa joue. En deux mois, le père aimant s’était transformé en bête acculée. Mais pourquoi ? Si la bonne société semblait ignorer la famille Hastings, les créanciers, eux, commencèrent leur défilé. En parallèle, le nombre de domestiques ne cessait de décroître. Et que faisait son père alors que la poussière s'accumulait entre les murs du beau palais ? Il se réfugiait dans son bureau pour s’enivrer et oublier. A chaque soirée passée dans son bureau Ginny en venait à le détester un peu plus. Mais c'était son père, et une fille se devais de soutenir son père. Alors Ginny appris à ravaler sa rancœur, à sourire et à faire bonne figure. Elle qui avait passé son enfance à n’être que lectrice de la vie des autres, elle commença à prendre vie. Sa joie apparente pouvait presque faire oublier la déchéance qui était la leur. Son sourire parvenait presque à cacher la rancœur qu'elle gardait en son cœur. Comme s’il ne lui en coûtait pas de devoir abandonner le pensionnat. Comme s'il ne lui en coûtait pas de devoir rapiécer les robes de sa sœur au lieu d'en acheter de nouvelles. Comme si elle n'était pas blessée par les nombreux refus des commerçants du village. Elle avait vite compris que son père laissait les dettes s'accumuler. Et que faisaient-ils, lui et sa mère ? Rien. Ils étaient dans le déni le plus total, espérant qu'un nouveau scandale saurais faire oublier les rumeurs dont ils avaient été l'objet. Et cela aurait pu marcher. Tout le monde ne leur avait pas encore tourné le dos. Quelques amis proches continuaient de soutenir sa famille. Des amis qui acceptèrent de suivre le comte dans quelques financements. Mais avoir le sang bleu ne procurerait pas les affaires. Et le comte n'avait aucun génie pour l'investissement. Cela encore, ses amis auraient pu le lui pardonner. Mais il chercha à cacher les échecs de son projet et accumula les mensonges. Son imbécile de père s'entêtait à dire une chose à l’un de ses amis et une autre à l'autre. Rapidement même leurs proches se mirent à murmurer dans leur dos. Et juste avant le début de la saison les journaux révélèrent avec joie toutes les erreurs du comte. Sa mère ne se remit pas de l'échec de la saison sur laquelle elle avait tout misé. Elle avait considérablement augmenté la dette de la famille avec l'achat de robes destinées à faire de Victoria l'Incomparable de la saison. Il ne fallut que deux réceptions pour montrer toute la vacuité d'une telle ambition.
La vente des robes marqua définitivement leur entrée dans la pauvreté. Le maigre espoir qui les faisait tenir, sa sœur et elle, venait de s'envoler. Sa mère et son père se détestaient désormais. Les cris et les reproches ne laissaient que peu de place à l'imagination : la comtesse accusait son mari de l'avoir entraînée dans sa chute. Du désespoir elle passa à la haine. Sans un regard en arrière, elle décida d'utiliser les revenus de son douaire, qu’elle avait pu sauver des griffes de son mari. La mère qui semblait si aimante, qui ne cessait de louer la beauté de ses filles étaient en réalité un monstre d'égoïsme qui n'hésita pas à s'enfuir en ne laissant derrière elle qu'une vague promesse. Un fil d'espoir auquel se rattacha Ginny pendant une année entière. Une année à ressasser les paroles de sa mère. Une année à espérer qu'elle leur écrive pour les appeler auprès d'elle. Mais les lettres se tarirent rapidement. Les journaux, eux, ne se privaient pas d'évoquer les extravagances de la comtesse. Cette dernière n'hésitait pas à s'afficher au bras d’un vicomte italien. Les journaux la présentèrent rapidement comme une courtisane de luxe. Si Ginny avait déjà appris à mépriser son père, elle découvrit désormais ce que c'était que de haïr sa mère. Pourtant elle semblait rester égal à elle-même, toujours souriante et sereine. De la domesticité, il ne restait plus que le majordome, la cuisinière et une bonne. Désormais les filles du comte devaient mettre la main à la pâte. Et son père, que faisait-il ? Il utilisait ses derniers sous pour nourrir son alcoolisme. C'était là pour lui le seul moyen d'oublier. Ginny et Victoria, elles, apprenaient à nettoyer et à repriser. La vente de leurs bijoux, des meubles et de leurs robes permis d'apaiser les créanciers les plus féroces. C'était avec un air curieux que Ginny se retrouvait dans les boutiques de prêteur sur gage. Comme si elle se contentait de participer à une grande vente aux enchères. Pourtant, au fond d'elle, elle détestait en être réduite à de telles extrémités. On aurait pu croire que les journaux se lasseraient de cette si piètre famille. Mais chacun de leurs gestes faisait l'objet de critiques acerbes. La fille de Lady Essex était partie se marier à Gretna green avec un comédien, Lord Salisbury avait perdu sa fortune familiale aux cartes, la jeune lady Sarah avait vomi dans un parterre de fleurs à cause du stress de sa présentation au monde. Autant de scandales qui avaient éclatés, pris feu en une explosion de critiques et qui s'étaient éteints aussi rapidement. Mais les malheurs de la famille Hastings étaient encore sur toutes les lèvres.
Chaque nuit passée à grelotter dans le froid afin d'économiser du bois, chaque repas frugal, chaque travail de couture rappelait à Ginny tout ce qu'elle avait perdu. Son beau palais n'était plus qu'une ruine délabrée. Que pouvait-elle faire à part se raccrocher à quelques menus plaisirs ? Le potager qu’elle entretenait peu importe le temps. Ses sorties avec Harriet, la seule amie qui ne lui avait pas tourné le dos. La revue mensuelle de la société Royal des sciences naturelles et la correspondance qu'elle commençait à entretenir avec ce passionné d'astronomie. Les rêves d'une vie meilleure qu’elle partageait avec Harriet. Les années passèrent et, rapidement, Ginny eu 18 ans. Nulle entrée dans le monde, son seul rite d'initiation à l'âge adulte fût de donner quelques cours de piano et de dessin. Mais l’infamie qui touchait sa famille la marquait au fer rouge. Rares étaient les parents qui acceptaient de confier leurs enfants à une des filles Hastings. Sous la pression sociale, les offres d'emploi se tarirent rapidement. Et ce fut à ce moment qu’arriva l'accident. Alors qu'elle se rendait chez la famille de Sir Rufus afin de proposer ses services de professeur, elle fut accueillie par Nicolas, le fils aîné. Elle qui croyait ne pas pouvoir tomber plus bas, elle se rendit compte que la noirceur de ce monde était infinie. Naïve petite demoiselle, elle accepta de suivre l'héritier du baron dans la bibliothèque. - Spoiler:
De cet après-midi, elle ne se souvint que de la sensation de la bouche répugnante, des mains baladeuses, de l’haleine répugnante. Quelques flashs d’un combat qui semblait perdu d'avance. Des coups de griffes, des morsures qu’elle infligeait à son adversaire. Et ce moment béni où elle arriva à lui mordre la main et lui donner un coup de tête dans le nez, le déstabilisant suffisamment pour fuir. Débraillée, les cheveux en pagaille, les gens ne retinrent pas ses larmes. Ils préférèrent traiter Ginny de gourgandine et d'allumeuse. De toute façon, c'était une Hasting, n’avait-elle donc pas mérité ce qui lui était arrivé ? Victoria était déjà partie pour exercer comme gouvernante afin de rapporter un peu d'argent à la famille. Il ne restait à Ginny que Harriet. C'est auprès de sa meilleure amie qu'elle s'effondra, pleurant toutes les larmes de son corps et criant la haine qu’elle éprouvait envers ce monde. Ce fut le seul moment où Ginny accepta de s'effondrer. Le seul moment où elle arrêta de faire semblant d'être forte. Elle n'avait que 18 ans mais elle était épuisée. Cela faisait déjà 2 ans que Victoria était parti lui laissant la charge de son père et de ses deux petites sœurs. Ginny pouvait raconter tous les beaux mensonges qu'elle voulait à ses petites sœurs, elle ne pouvait s'empêcher de penser, au fond d'elle, qu’un jour elles finiraient par avoir moins de moyens qu'une simple bonne. Son père ne vivrait pas éternellement. Elle avait beau détester son alcoolisme et sa passivité, c'était son titre qui leur permettait encore d'avoir un toit sur la tête. Le jour où il disparaîtrait, elle serait totalement démunie. Mais Ginny en avait marre de se laisser faire. Une lady devait être effacé respectueuse, douce et obéissante. Qu'est-ce que cela lui avait apporté ? Rien.
Dans son malheur, Ginny avait la chance de pouvoir compter sur Harriet. Certes, le père de cette dernière voyait d’un mauvais œil que sa fille côtoie une personne aussi méprisée de la bonne société mais en tant que voisines, elles arrivaient toujours à se voir. Combien d’après-midi Harriet avait passé à côté d’elle dans le jardin qu’elle entretenait avec acharnement ? Le frère d’Harriet, Collin, l’accompagnait parfois pour servir d’alibi. C’était lors de ces après-midi qu’ils réfléchissaient à leurs projets. Ginny avait toujours rêvé d’assister aux spectacles de la capitale. Harriet, quant à elle, adorait être entourée, voir les personnes s’amuser, s’entraider ou se dénigrer. Elle considérait les événements de la bonne société comme un bon terreau d’expérimentations sociales. Collin, lui, voulait monter une entreprise florissante et considérait que les nouveaux commerces comme les boutiques de glaces ou les jardins de Vauxhall. Alors si sa sœur et Ginny comptaient investir dans une sorte de salon de thé, Collin était d’accord pour s’associer à elles et s’occuper du côté financier de l’entreprise. Rapidement, Harriet et Ginny en vinrent à imaginer ce que serait leur affaire et à lui donner forme. Plus les années passaient, plus Ginny voyait ses possibilités d’avenir se réduire. Sans dots, ses petites sœurs n’avaient guère plus d’option qu’elle. Malgré leurs sang noble, elles ne pouvaient plus avoir le droit au titre de "Lady". Si seulement les journaux pouvaient arrêter de rapporter leur moindre faux pas, elles pouvaient peut-être espérer se marier avec un bourgeois qui pourrait leur permettre d’avoir une vie décente. Ginny et Harriet, à 26 ans, entraient désormais dans la catégorie des vieilles filles. Si Harriet, avec son héritage, pouvait espérer se trouver un mari. Malgré les pressions de son père, elle ne voulait pas en entendre parler. Assise sur un tissus, entre les arbres du bois qui séparait leurs propriétés. « Aux yeux des hommes, nous ne valons guère mieux que des enfants. Comme si le fait d’être des hommes leur conférait une intelligence supérieure ! » Ces propos, Harriet ne les tenait que à l’abris des regards. Ginny aurait pu ne pas être d’accord avec le ton ironique de son amie si son père n’avait pas fait preuve d’autant de lâcheté. Pourtant, depuis plus de 10 ans, il s’était contenté de sombrer en se laissant dominer par ses vices. Tout comme celui qui avait essayé de la violer. « Aux yeux de la société, nous ne sommes rien sans les hommes. Rien que pour cela, cela vaudrait peut-être le coup de se marier. » Son frère était mort d’une maladie deux ans auparavant. Il ne restait que son père. Son père ivre à longueur de journée. Combien de temps avant que son père ne succombe à sa mauvaise hygiène de vie ? « Mais le mariage exige la consommation… » Ginny frissonna aux paroles d’Harriet. « Une des raisons pour lesquelles je suis bien contente d’entrer dans la catégorie des vieilles filles… » Harriet lui adressa un regard bizarre avant de poser sa main sur la sienne. « Les hommes ne connaissent rien à nos désirs… même dans ce domaine, les femmes seraient bien meilleures que les hommes si on leur en laissait l’opportunité… » La main d’Harriet remonta pour caresser la joue de Ginny avant que ses lèvres se posent sur les siennes. Dans un frisson, la jeune fille répondit maladroitement au baiser de son amie. Avant de se reculer précipitamment. « Ce n’est pas bien… On ne devrait pas faire ça… » Sur ce murmure, elle fuit lâchement. Pendant quelques temps, elle vit moins Harriet. Pour compenser la perte de son amie, elle se lança à corps perdu dans sa correspondance avec le passionné d’astronomie qu’elle avait contacté quelques années auparavant. Leurs lettres, d’abords centrées sur la science, laissèrent de plus en plus place à des anecdotes plus personnelles. L’émotion qu’elle ressentait en regardant les étoiles avec la longue-vue qu’elle n’avait pas pu se résoudre de vendre. Lorsqu’ils abordèrent la découverte de Gisueppe Piazi, l’astéroïde Cérès, Ginny ne pu s’empêcher de s’étendre pendant quelques lignes sur la vie qu’il pourrait y avoir sur ce corps inconnu. Elle aimait particulièrement mélanger sciences et imaginations, mêlant les deux sans perdre de vu que l’une relevait de la réalité alors que l’autre n’était que fiction. Rapidement, ces lettres devinrent une véritable bouffée d’oxygène : son correspondant l’écoutait, donnait de l’importance à sa pensée et la voyait elle et non la fille de la famille Hastings. Son surnom, G. Nightingal, lui avait offert ce que Virginia Hastings ne pourrait jamais obtenir.
Dans l’année, son père mourut. Rapidement, le cousin éloigné qui venait d’hériter du titre lui envoya son régisseur avec quelques livres et la demande qu’elle et es petites sœurs quittent la demeure comtale. Une semaine plus tard, elles se retrouvaient à Londres. Harriet avait proposé de les héberger mais Ginny savait que le père de cette dernière ne l’accepterait pas. Elle trouva donc un petit appartement dans un quartier destiné à la classe moyenne. Et voilà ! Il ne restait rien de Lady Virginia... Elle n'était plus que Miss Hastings. Collin s’était porté garant et avait avancé l’argent pour payer deux mois de loyer. Harriet et lui arrivèrent également à trouver un local pas très loin de Mayfair pour donner le jour à leur idée de salon de thé. Un jour plus tard, Harriet montrait le local à Ginny. Il restait encore tellement à faire ! Ginny serait en coulisse. Sa mission serait de mettre en place les plannings, de trouver les partenaires à contacter, de réfléchir à la décoration. Ce serait Harriet qui s’occuperait de mettre en œuvre les idées de Ginny. Collin, quant à lui, gérerait l’argent. Les deux femmes étaient tellement excitées en visitant le local. Enfin ! Enfin, leur projet avait des chances de voir le jour ! Et dans son excitation, les lèvres d’Harriet se posèrent à nouveau sur celles de Ginny. Cette dernière avait depuis longtemps eu le temps de réfléchir à leur premier baiser. Ce qu’elle ressentait pour Harriet était si fort. Était-ce de l’amitié ou de l’amour ? Et ce baiser avait fait renaître les sensations que les attentions de Nicolas avaient tué. Les mains de Ginny se posèrent sur les joues d’Harriet alors qu’elle approfondissait ce baiser. Un baiser interdit qui avait le pouvoir de la faire tomber encore plus bas. Un baiser qui éveillait en elle tant de sensations qu’elle ne pouvait les définir. « Je ne sais pas si je suis prête à répondre à tes attentes… » Les lèvres de Ginny tremblèrent alors qu’elle murmurait ses doutes. Harriet posa son front contre le sien en signe de réconfort. « Je ne te demanderais jamais plus que ce que tu auras la bonté de m’offrir. » Voilà comment elles décidèrent de prendre leur vie en main. |
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