Les choses simples...
sont souvent les plus appréciables.
Il plut à Dieu, visiblement, de se montrer clément en cette matinée du deux avril. C’est là ce que se dit Sa Majesté, le prince Octavian, lorsqu’il posa son regard sombre sur le décor splendide des jardins de Kensington Palace, tout en tenant sa tasse de thé matinale. L’azur du ciel ne fit que lui rappeler celui bien plus charmant et envoutant du regard de la demoiselle qu’il rejoindrait cette après-midi. Si sa grand-mère avait encore été de ce monde, nul doute qu’elle se serait réjoui de revoir une étincelle de candeur juvénile dans le regard de son taciturne petit-fils, premier de ce nom. C’est d’ailleurs avec le souvenir ému de cette reine de son cœur – la première avant tout – qu’il deviserait sans doute avec la prétendante à sa succession. Pour l’heure, il devrait encore attendre, fébrile néanmoins, qu’il soit l’heure de se rendre au rendez-vous.
Jamais les affaires de l’état ne lui avaient paru plus insipides et insupportables, ni le temps plus long à passer. Chaque fois qu’il posait les yeux sur sa montre à gousset, il lui avait paru qu’une éternité était passée, alors que cela faisait à peine cinq minutes. Jamais il n’avait été aussi dissipé. La faute, sans aucun doute, à la multitude de questions qui l’assaillait et aux doutes qui rongeaient encore son âme. Serait-il à la hauteur des espérances de la demoiselle ? Lui qui s’était refermé sur son monde intérieur depuis le décès de Louise. Un frisson lui parcourait l’échine, alors qu’une fois encore, le rire d’une enfant résonnait dans les couloirs de son esprit. Ce n’était qu’un mirage, le prince le savait. Comme les assoiffés, dans le désert, qui croient voir une oasis, son cœur en mal d’affection et non guérit de l’infâme tristesse cherchait le réconfort dans l’imaginaire de ce qu’aurait été le rire de sa fille. Autrefois, il y aurait vu un mauvais présage, une mise en garde et sans doute aurait-il reculé. Aujourd’hui, grâce à la parole amie d’un jeune prêtre plus sage qu’il n’y parût, il y puisait la force d’avancer et de voir plus loin. Ainsi, il put quitter sa demeure l’âme en paix et le rire cristallin se tût lorsqu’il passa la porte.
Le Vauxhall était une véritable merveille lorsque le temps était aussi clément qu’en ce jour. Point de visite royale sans précautions évidentes, son personnel avait évidemment balisé le chemin de la promenade et presque privatisé celui-ci, protocole royal oblige. Octavian ne voulait pas priver le monde du plaisir des lieux, mais il ne pouvait pas non plus intempestivement être interrompu, surtout alors qu’il cherchait à connaître plus avant la demoiselle Gilderstone. Tandis qu’il quittait la voiture royale, l’homme avança sur le chemin, droit, fier, royal, comme il se devait d’être. D’une oreille distraite, il écoutait les informations données par son ordonnance, quant à la sécurité de sa promenade, mais il était déjà à demi subjugué par la vision qui s’offrait à lui.
La lady qui l’attendait là, flanquée de la remarquable Brioche, resplendissait dans ce décor naturel. La délicatesse de sa toilette bleu clair rehaussait ses yeux déjà si merveilleux et la parure ne faisait que mettre le point final à tout cela. Lady Elinor Gilderstone paraissait tel un ange de lumière à ses yeux. Aussi, lorsqu’il fut à sa hauteur, il exécuta les salutations d’usage et bien qu’il soit la politesse incarnée envers la mère de la demoiselle, il était impossible de ne pas voir qu’il n’avait d’yeux que pour la fille. « Lady Gilderstone. Lady Elinor, vous êtes à couper le souffle de tout homme, simple mortel, dans ce monde. Je me trouve du plus honoré de votre compagnie pour cette promenade. » Un jappement se fit entendre et les orbes sombres du duc descendirent à la rencontre de ceux du canidé. « Et c’est tout autant un honneur que de vous revoir, Lady Brioche. »
D’un mouvement souple du bras, il invita la jeune débutante à démarrer la promenade, conversant la rigueur princière qui était la sienne et la distance raisonnable qu’il sied entre deux prétendants. Il fit quelques pas en silence, laissant l’écart avec la chaperonne se creuser, afin d’avoir ce brin d’intimité qu’ils pouvaient obtenir dans ce monde et ce protocole. « J'éprouve une grande joie, que de vous voir arboré cette parure. Elle vous sied à merveille. Je suis tout autant ravi qu’elle vous ai plu. Mais ce sont là sans doute quelques banalités, puis-je vous demander comment vous vous portez ? »