Learn to say I'm sorry. (feat Hannah)

Théodore se tenait au bord de la rive, scrutant l'eau calme du fleuve qui reflétait les rayons du soleil de l'après-midi. La douce brise apportait avec elle une sensation de tranquillité, mais son esprit était ailleurs. Aujourd'hui était le jour où il devait essayer de se rattraper auprès d'Hannah Brown. En effet, après avoir dansé avec sa cousine lors du bal de la reine, le baron avait décidé de ne plus la courtiser. Trop frivole à son gout, elle n’était absolument pas assez mature pour devenir la prochaine baronne Willoughby de Broke. Cela aurait pu être un détail pour le jeune homme, après tout, il devait simplement trouver une demoiselle avec une jolie dot, mais il ne pouvait se résigner à épouser une personne avec qui il ne pourrait converser. Il savait que courtiser Hannah était risqué, mais elle semblait plus sérieuse. Heureusement qu’il n’avait pas officiellement fait la demande de courtiser Miss Davis, cela aurait été délicat de s'intéresser à la cousine si rapidement après.

Il ne pouvait nier qu'il avait été trop direct lors du dîner. Pour lui, le respect des étiquettes et des convenances était crucial, mais il aurait dû aborder le sujet avec plus de tact. Cependant, il ne pensait pas avoir tort sur le fond, mais plutôt sur la forme, il  aurait dû être plus bienveillant. Mais il ne pouvait pas abandonner si facilement, Hannah suscitait son intérêt et il pensait pouvoir repartir à zéro avec la demoiselle. Il devra mettre son égo de côté, chose compliqué pour notre baron.

Théodore savait que la famille Brown devait se promener le long de la Tamise, une domestique avait été trop bavarde. Il fit mine de s'étonner légèrement, lorsqu’il se retourna et tomba sur la famille américaine. Après les salutations d’usages, le jeune homme n’a pas eu besoin de proposer une balade en barque ou même de la suggérer comme il avait l’intention de le faire, car la mère d'Hannah le fit à sa place. C’est ainsi qu’il se retrouva sur ce petit bateau, en compagnie d’une demoiselle qui avait clairement exprimé son désir de ne vouloir ni son respect et ni sa courtoisie.

Théodore se racla la gorge, décidant qu'il était temps de briser le silence en allant directement au vif du sujet. "Je tiens à m'excuser, Miss Brown, pour ma conduite lors de notre dernier dîner," dit-il d'une voix calme et posée. "J'ai peut-être été trop direct dans mes paroles et j'en suis désolé si cela vous a offensée." Il jeta un coup d'œil discret à Hannah puis continua sur sa lancée. "Je comprends que mes manières puissent vous sembler rigide. Je prends trop à cœur certaines choses, mais je reconnais que j'aurais pu être plus délicat dans ma manière de m'exprimer.", continua-t-il. Il détourna légèrement le regard, observant l'eau qui scintillait sous le soleil. C’était difficile pour lui de s’excuser de la sorte, même s’il admettait qu’il avait été rude avec la demoiselle. “Je n’attends pas à ce que vous acceptiez mes excuses de suite, mais je vous demande de me donner l'opportunité de prouver que je peux être un homme digne de votre estime.” conclut-il avec une formulation digne d’un gentleman.

En début d’après-midi et après une matinée plus que calme, les Brown ainsi que la cousine Davis étaient de sortie, le temps était ensoleillé et le vent léger rendait cela encore plus agréable. Malgré tout, il ne fallait pas mettre la charrue avant les bœufs et garder en tête que la chaleur reviendrait vraiment d’ici un ou deux mois et donc sortir couverts resté de mise. Bien sûr, cela ne devait empêcher personne de sortir et de profiter de la douce caresse de l’astre solaire et plus encore car les sorties en famille étaient rares. Mr et Mrs Brown travaillant toujours avec plaisir et acharnement pour faire prospérer leurs affaires et peur fortune, Hannah avait d’ailleurs cru comprendre qu’ils avaient encore un peu gonfler sa dot. Certes, une bourgeoise américaine ne devait pas être aussi séduisante qu’une noble demoiselle anglaise, de sorte qu’une dot plus confortable pourrait faire tourner le vent en sa faveur. Cependant, elle n’avait pas spécialement envie de se retrouver entourée de coureur de dots, telles des guêpes attirées par un pot de miel. Comment attirer un jeune homme ou homme de bonne famille, qui lui conviendra autant à elle qu’à sa famille, surtout sa mère ?  Voilà qui allait demander méditation.

La jolie rousse n’eut pas vraiment le loisir de se plonger plus en avant dans ses pensées, que sa famille s’arrêta de marcher pour saluer un homme, et quel homme, ni plus, ni moins que le moustachu. Dieu sait que Hannah, après le dîner chez les Smith et le bal de la reine, n’avait eu le désir de revoir le Baron Willoughby de Broke, pourtant le seigneur l’avait encore envoyé sur son chemin. Que devait elle en déduire ? Y avait t-il quelque chose à en déduire ? Après tout ce n’était peut être qu’une coïncidence. La voilà donc, après les salutations d’usages et quelques mots échangés, coincée avec lui dans cette petite barque à cause de sa mère qui lui avait suggéré de faire un tour en barque avec la jeune femme. Ce qu’il avait accepté sous le regard furibond de la cousine Davis qui avait sûrement espéré être à la place de Hannah. Elle allait sûrement en entendre parler pendant des siècles. Le reste de la famille était bien sûr dans une seconde barque, à juste ce qu’il fallait de distance pour qu’ils puissent parler sans encombres tout en restant sous la vigilance parentale.

Le regard perdu sur le paysage défilant lentement, la rousse se fit la pensée que cette balade aller être drôlement longue sans échanger un mot, elle pourrait toujours se jeter à l’eau si cela devenait trop pénible. Mais il était hors de question d’engager la conversation avec le Baron moustachu de Broke. Pourtant et contre toute attente, ce fut lui qui brisa la quiétude et l’ennui, il faut le dire, du moment en se raclant la gorge. Forcément la demoiselle posa son regard sur lui, un regard teinté de méfiance. Allait il être encore médisant à son propos ? Non, contre toute attente il lui présente des excuses quant à son attitude lors du dîner de célibataires de Lady Smith, voilà qui est vraiment inattendue et un brin déroutant. Certainement que si elle avait été installée sur une chaise, Miss Brown aurait glissé de son assise, d’ailleurs faire amende honorable semble être compliqué pour le Baron tout en lui respire l’embarras. Quand il termine sa tirade, la jeune femme l’observe quelques instants prenant le temps de la réflexion sur ce qu’elle va dire, il serait mesquin de sa part de rester silencieuse après cela.

— Je dois avouer que vos excuses sont pour moi une grande surprise, commence doucement la jeune femme. Une surprise pour le moins agréable pour être tout à fait exact, car je dois bien dire que je ne vous aurais jamais imaginé pouvoir reconnaître vos torts.

Sans doute que l’américaine a jugé l’anglais de manière un peu trop hâtive, difficile de montrer son vrai visage quand tout n’est que paraître et étiquettes. De sorte que d'une certaine manière, elle a aussi un peu ses torts dans l’affaire.

— Vous avez en effet était bien trop direct et avait cruellement manqué de tact à mon égard, j’ai bien conscience que j’ai encore des lacunes à combler au sujet de l'étiquette et de vos codes sociaux.  Si cela peut vous rassurer en revanche, vous n'êtes pas le seul que je trouve un peu trop rigide.

Reste à espérer qu’il puisse avoir de l'humour, sinon cela va être encore plus compliqué entre eux, car Hannah elle aime ça plaisanter et titiller un peu les autres.

— En tout cas c’est un très bon début,  reprend la jolie rousse après quelques secondes de silence. En revanche je… Pourquoi voudriez vous être digne de mon estime ? N’est-ce pas plutôt à ma cousine que vous devrez prouver cela ?

Théodore se retrouvait donc en compagnie de Hannah Brown, ravalant sa fierté, il s’était excusé pour son comportement lors du fameux dîner. Il n’avait pas été très correct envers la demoiselle et il devait se rattraper, car il avait changé d’avis sur la personne qu’il voulait courtiser. En effet, Miss Davis n’était pas le genre de jeune fille qu’il souhaitait pour devenir la prochaine baronne alors que Miss Brown semblait plus appropriée. Après avoir présenté ses excuses, il attendait impatiemment la réponse de l’Américaine. Celle-ci fut surprise par le fait qu’il puisse reconnaître ses torts, il se disait qu’il devait lui avoir donné une mauvaise image de lui lors de ce dîner pour qu’elle puisse penser cela . Un brin guindé et obtus ? C’était un peu vrai, mais Théodore pouvait se remettre en question lorsque c’était nécessaire. Enfin, cela pouvait prendre du temps, mais il n’était pas complètement fermé à toute remise en question. Théodore écouta attentivement les paroles d'Hannah, prenant soin de ne pas la couper. Il aurait pu s'attendre à un ton plus tranchant, compte tenu de leur dernier échange. Cependant, il se garda bien de montrer ce soulagement, préférant rester digne et réservé.

Il esquissa un léger sourire, reconnaissant qu'elle avait raison sur plusieurs points. Il hocha la tête en signe d'approbation à ses paroles sur son manque de tact. "Je vous remercie pour votre compréhension, Miss Brown," répondit-il sincèrement. "Et je m'excuse si j'ai pu paraître trop rigide. Les conventions sociales peuvent être étouffantes, je le conçois. Mais elles sont une partie incontournable de notre société ici en Angleterre.", ajouta-t-il avec précaution, mais tout en lui montrant qu’il restait lui-même et qu’il n’était pas hypocrite envers elle. Il n’allait pas lui dire qu’il était contre les règles, ce ne serait qu’un mensonge. Cependant, ses excuses prouvaient qu’il n'était pas entièrement inflexible et qu’il pouvait être souple dans ses convictions. Théodore arqua légèrement un sourcil en réponse à la remarque d'Hannah sur sa rigidité. Il aurait pu se vexer, mais il préféra plutôt prendre cela comme une occasion de montrer un peu plus de légèreté. “Oh, je suis rassuré, mais j’espère que je ne suis pas haut placé dans votre liste.“ lui répondu-t-il avec le sourire aux lèvres.

Après un instant de silence, elle reprit la parole en mentionnant sa cousine. Il savait qu’elle allait en parler, mais ce n’est pas comme s’il avait courtisé la demoiselle, il avait porté un intérêt, mais pas assez pour qu’elle espère quoi que ce soit. Il marqua une légère pause, laissant ses mots flotter dans l'air. "Je crois qu'il est important de gagner l'estime de toutes les personnes que nous rencontrons dans la vie..." Il marqua une pause, réfléchissant à ses mots. "J'ai pu manquer de tact, mais j'aimerais simplement vous montrer que je peux être un homme différent de ce que vous avez peut-être pu penser initialement, un homme dont vous pourriez simplement apprécier la compagnie." dit-il simplement tout en ramant pour atteindre un endroit en plein milieu de la Tamise, arrêtant la barque pour reposer ses bras.

Voulant engager une conversation légère, Théodore prit l'initiative. "Miss Brown, comment trouvez-vous Londres durant la saison ? Celle-ci apporte toujours un charme particulier à la ville, n'est-ce pas ?"  demanda-t-il, un léger sourire aux lèvres.

L’après-midi aurait clairement pu tourner au vinaigre avec l’apparition du Baron Willoughby de Broke et la proposition de sa mère qui manqua de lui faire dresser les cheveux sur sa tête rousse. C'est-à-dire faire du bateau en compagnie de la famille Brown et mieux encore, laisser leur cadette en compagnie de gentleman anglais, après tout ce serait une belle si les deux célibataires en venaient à se rapprocher. Autant dire que Mrs Brown serait aux anges si cela venait à se produire, cependant, elle ne sait point que le premier contact qui s’est fait entre la bourgeoise et le noble n’a pas été un long fleuve tranquille, bien au contraire. Cependant, alors que Hannah pensait que cette traversée en bateau serait placée sous le signe du silence et de la gêne, Théodore prend la parole pour s’excuser de son comportement au dîner. Autant dire que la jolie rousse est pour le moins surprise de cette remise en question, elle qui croyait, visiblement à tort, qu’il était du genre à camper sur ses positions. Lui comme elle a sûrement été un peu trop rapide dans le jugement, ce n’est en effet pas en un seul et unique échange que l’on peut apprendre à cerner une personne. En revanche, la jeune femme n’accepte pas entiérement ses excuses, car le Baron s’est tout de même montré assez rude avec elle, cela ne fait pas encore un an qu’elle est arrivée et certaines choses prennent du temps. Notamment, se faire aux conventions sociales, aux règles et à l'étiquette, encore plus lorsqu'on est une rouquine un peu trop flamboyante.  

— Je peux être une personne très réfléchie lorsque l’on ne m’énerve pas, répond la demoiselle sur le ton de la plaisanterie. Plus sérieusement, je peux comprendre que vous ayez à cœur de voir appliquer les codes sociaux, vous avez été élevé avec ceux-ci et ils font partie intégrante de votre façon de vivre. Cependant, comprenez qu’aux Etats-Unis je vivais d’une façon bien précise et qu’en arrivant sur le sol anglais, on m’a fait comprendre d’oublier tout cela et de me faire aux conventions sociales, aux règles et à l'étiquette de votre pays. C’est comme demander à une plante qui a été déraciné de s’acclimater, ça ne se fait pas en un claquement de doigt.

Hannah n’en pipe pas mot, mais elle a parfois l’impression qu’on essaye d’étouffer sa personnalité, car elle est très loin de ressembler à la parfaite petite anglaise, modeste, passive et soumise. Enfin, elle peut-être modeste bien sûr, pour le reste, c’est un peu plus compliqué. En tout cas, la jeune femme est un peu rassurée de voir que le Baron peut avoir de l’humour, il va en avoir besoin avec elle.

— Oh ? Et si tel était le cas, que feriez-vous pour vous retrouvez tout en bas, voire même d’en disparaître ? demande-t-elle avec une pointe d'espièglerie dans la voix.

La suite l’étonne sans doute encore plus que les excuses du Baron, qu’il puisse se remettre en question est déjà une chose qui est plutôt déroutante pour la rousse. Car au vu de l’embarras qu’il l’a saisi en remettant en cause son attitude, Hannah doute qu’il présente ses excuses tous les jours. Gagner son estime ? Un homme dont elle pourrait apprécier la compagnie ?

— Même les personnes qui ne sont pas estimables ? Enfin, je ne me range pas dans cette catégorie bien évidement, j’ai beau avoir mon caractère, je ne crois pas être la femme la plus abominable qui soit. Mais soit, montrez moi que vous pouvez être un homme dont je pourrais apprécier la compagnie.

Cela sonne comme un défi, en soit cela peut en être un pour le noble anglais, après tout, ils sont si différents, que lui prouver qu’il puisse être tout autre serait une belle victoire pour lui. Théodore rame un peu pour rejoindre un se trouvant en plein milieu de la Tamise, avant de reposer les rames et de lui poser une question plus légère. Hannah réfléchit quelques instants, faisant rouler le manche de son ombrelle entre ses doigts gantés.

— Londres durant la saison est bien plus vivant et offre plus d’activités, il est également possible de rencontrer de nouvelles personnes aux caractères très variés, il est vrai que cela donne à la capitale un charme particulier. Cependant, je dois dire que je préfère quand même le charme et la tranquillité de la campagne, j'espère d’ailleurs qu’une fois marié je pourrais résider plus le plus possible à la campagne qu’en ville.

La gêne du début se dissipait de plus en plus. Il faut dire qu’il n’avait pas été des plus à l’aise à devoir s’excuser. Théodore se sentait plus à l'aise en compagnie d'Hannah. Malgré cela, il restait un point sensible, comment faire pour lui faire comprendre qu’il souhaitait la courtiser ? Ce n’était pas une bonne idée de le faire ici, en plein milieu d’un fleuve. Il le ferait par étape et il espérait que la cousine trouve une autre personne qui la courtiserait, ce serait plus facile pour lui, mais il ne s’inquiétait pas pour cela vu la personnalité de la demoiselle. Il acquiesça lorsqu'elle mentionna les conventions sociales et leur incontournabilité en Angleterre. C'était une réalité qu'il avait toujours connue, mais il pouvait imaginer à quel point cela pouvait être écrasant pour quelqu'un qui avait grandi dans un environnement différent. Cependant, il se disait qu’il devait bien y avoir des règles “étouffantes” dans les anciennes colonies, la haute bourgeoise américaine aimait imiter leur “cousins” anglais. "Vous avez tout à fait raison, Miss Brown." déclara-t-il d'une manière compréhensive. "Les conventions sociales sont ancrées profondément ici, et même si elles peuvent sembler rigides, elles ont leur place dans notre société. Je m'efforcerai d'être plus compréhensif à l'avenir."

Théodore arqua un sourcil en réponse à la question taquine d'Hannah, puis esquissa un sourire léger. "Eh bien, Miss Hannah, je vais m'efforcer d'user de mon charme. Et si cela s'avère infructueux, je suppose que je devrais simplement faire preuve de persévérance et de me montrer moins...rigide." répondit-il avec une pointe d'humour.

Il se pencha légèrement en avant lorsqu'elle lui lança un défi, enfin, c'est ainsi qu’il l’interpréta. C'était une occasion de montrer qu'il était prêt à évoluer et c’était une bonne excuse pour se revoir. ​​"Je relève volontiers ce défi, Miss Brown." déclara-t-il avec un léger sourire. "Que ferais-je ? Ce serait un plan que je garderais jalousement secret. Vous devrez peut-être attendre pour le découvrir." répondit-il avec une voix faussement mystérieuse.

Ensuite, la discussion prit un ton plus léger avec la différence entre la vie à Londres et à la campagne. Il comprenait parfaitement son point de vue, car lui aussi avait une préférence pour la campagne, c’était un point commun. "La campagne offre une paix et une tranquillité incomparables. Il est compréhensible que vous préfériez la campagne, cela doit vous rappeler votre chez-vous aux États-Unis, n’est-ce pas ?" répondit Théodore, les anciennes colonies avaient des terres à perte de vue, les Brown avait sans doute une grande demeure avec de grande terre tout autour. "Je partage votre amour pour la tranquillité de la campagne. En fait, je possède une vieille demeure à la campagne, un endroit vraiment charmant et paisible. J'ai toujours apprécié y passer du temps pour échapper à l'agitation de la ville, mais en tant que Lord, je dois accomplir mon devoir au parlement, alors Londres est incontournable pour moi." Il s'arrêta un instant avant de reprendre rapidement. "Cependant, je profite de ces moments pour rendre visite à des amis. De plus, j’apprécie l’opéra, c’est une des principales raisons que j’aime la saison. Avez-vous déjà eu le plaisir d'assister à une représentation d'opéra, Miss Hannah ?"

L’ambiance se faisait de plus en plus sereine alors que le Baron et la jeune américaine poursuivent cet échange et c’est au mieux, car quitte à être coincé dans une embarcation, autant que cela se passe aussi bien que possible. Cependant, la demoiselle reste prudente, pour l'heure si l’échange devient cordial, il se peut qu’au détour d’un sujet ou un autre cela puisse tourner au vinaigre. Miss Brown a son caractère bien affirmé et même si l’anglais se veut apaisant, il semble aussi savoir campé sur ses positions lorsqu’il estime être dans le vrai. Alors oui, prudence est toujours mère de sûreté.

— C’est fort aimable de votre part Mylord, sachez que je ne suis jamais fermé à quelques conseils, tout est une question d’intonation, dit-elle avec un sourire aimable.

Par là, elle veut faire comprendre à Théodore que s’il devait avoir des conseils à lui fournir au sujet de ces conventions sociales, la jolie rousse est parfaitement encline à les recevoir. Tant qu’il se montre aimable et sans condescendance aucune, elle n’y verra jamais d’inconvénient. L’humour semble être ensuite au rendez-vous, elle voit bien le noble hausser un sourcil sûrement étonné par une question si franche, avant de sourire doucement.

— Voyez vous cela, c’est fort intéressant et vous piquez ma curiosité je dois bien le dire, comment le Baron Willoughby de Broke charme t-il une demoiselle ? Vous vous en sortez bien en tout cas, pour vous montrer moins rigide.

Hannah sourit doucement. Ensuite, lorsque l’anglais lui annonce qu’il souhaite gagner son estime et qu’elle pourrait certainement apprécier sa compagnie, la jeune femme lui répond de telle sorte qu’il semble qu’elle vienne de lancer un défi au Baron. Sa réponse lui fait esquisser un sourire et lui fait dire que non, elle ne doit pas être si abominable que cela, sinon, le moustachu ne se serait pas tenté à relever ce challenge.

— Très bien, gardez vos secrets pour vous, j’imagine que la surprise n’en sera que plus grande pour moi, répond la jeune femme plutôt amusé par la situation. Cependant, je me questionne tout de même. Mettez-vous toujours autant d’entrain à faire changer d’avis quelqu’un sur votre personne ?

Ou est-ce parce qu’elle est une jeune femme à marier ? Avec la nouvelle saison mondaine, il y a de quoi se poser légitimement la question. La conversation prend ensuite un autre tour, un peu plus léger lorsque Théodore lui demande ce qu’elle pense de Londres durant la saison.

—En effet, j’ai eu l’occasion de vivre quelque temps à New-York lorsqu’avec ma famille nous allions voir des proches et même si une grande ville offre de nombreux divertissements, ma préférence ira toujours à la campagne. J’ai vu le jour sur le vaste domaine des Brown, une belle et imposante maison entourée de nature verdoyantes à perte vue, ou enfant et même en grandissant j’aimais m’y perdre, juste pour y rêvasser, ou même encore pour dessiner. J’aimerais avoir la chance de retrouver cela une fois mariée et j’espère que mon époux sera enclin à ce que nous nous rendions aux Etats-Unis. Le reste de ma famille resté là-bas me manque beaucoup.

Déjà une année loin d’eux, et malgré les nombreuses lettres échangées, cela ne comble pas le vide que leur absence laisse dans son cœur.

— Le devoir avant tout n’est-ce pas. Il doit vous être bien agréable de retrouver cette vieille demeure une fois la saison achevée, la tranquillité de la campagne et sans commune mesure. Il est vrai que les activités sont moindres en campagne, pas impossible mais beaucoup plus restreintes, comme il doit être sympathique de revoir amis. Non, je n’ai pas encore l’occasion d’assister à un opéra, une gentleman devait m’y inviter, mais cela n’a jamais pu se faire .  

Si jamais l'occasion se présentait, le baron n’hésiterait pas à lui donner quelques conseils et cette fois-ci, il veillerait à surveiller son ton. Il faut dire qu’il n’avait pas été des plus sympathiques lors de ce fameux dîner. Il se disait que plus elle fréquenterait la haute société, plus elle s’acclimatera aux règles de cette dite société. De plus, il pouvait bien se permettre d’être plus compréhensif envers une demoiselle qui avait dû traverser l’océan pour assouvir les aspirations de ses parents.  “Je serais ravi de partager quelques conseils avec vous lorsque l'occasion se présentera.”, dit-il tout simplement, en faisant bien attention à ne pas prendre un ton condescendant, bien entendu.

Comment le Baron Willoughby de Broke charmait-il une demoiselle ? Ses doigts glissèrent légèrement sur la moustache soigneusement entretenue, un geste de réflexion familier. Le défi de charmer Miss Brown devenait de plus en plus intéressant. Cependant, parler de charmer une demoiselle devant cette dite demoiselle allait au-delà de la bienséance. Il est vrai que c’est lui qui avait commencé, mais son éducation l’empêchait d’aller plus loin, surtout qu’il n’avait pas encore officiellement lancé l’idée de la courtiser.  Toujours est-il, Théodore se disait qu’il pouvait la “taquiner” gentiment, espérant qu’elle n’aille pas tout rapporter à ses parents, même s’il doutait que c’était ce genre de jeune fille. "Est-ce que cela serait vraiment fair-play de vous révéler toutes mes techniques ? Après tout, elles perdraient de leur magie si je vous les dévoilais, n'est-ce pas ? " demanda-t-il avec un sourire taquin.

La barque glissait doucement sur l'eau calme. Quand elle lui lança un défi, Théodore répondit avec un air amusé. "Je suis bien conscient que certaines personnes peuvent me juger sur mon caractère. Vous savez, chère Miss Brown, il y a des moments où je choisis de me montrer sous un jour différent, surtout en compagnie d'amis ou de personnes qui éveillent mon intérêt. Peut-être que je pourrais être plus flexible que l'on ne le pense." Au fil des années, Théodore s'est forgé une réputation dans le monde, tantôt arrogant ou vaniteux. Voulant à tout prix être l'opposé de son père, il tient à ses nombreux principes. C'est de là que vient son côté guindé, on dit de lui qu'il ne sait pas s'amuser, mais il ne fait pas attention à ce qu'on peut dire de lui, mais il pouvait être quelqu’un de différent avec ses amis proches.

La conversation tourna vers leurs préférences pour la campagne. Théodore écouta Hannah parler de sa vie sur le domaine familial, de sa maison entourée de verdure, et du désir de retrouver cette tranquillité une fois mariée. "Je peux tout à fait comprendre et je partage votre attachement à cette tranquillité, d'autant plus qu'une grande ville comme Londres peut parfois être bien agitée.” Il fit une pause avant de continuer, montrant un intérêt sincère, cela ne doit pas être facile d’être loin de sa famille. Il était chanceux d'avoir sa famille proche de lui. ”Il est compréhensible que votre famille vous manque. J'espère sincèrement que vous aurez l'opportunité de les retrouver bientôt."

“Le devoir avant tout, mais retrouver ma vieille demeure à la fin de la saison est un plaisir inestimable, en effet.”  Théodore était un féru d’opéra, alors il n’hésita pas à faire une proposition ouverte, laissant à Hannah la possibilité de décider de la suite. "Quant à l'opéra, peut-être que cette saison nous offrira l'opportunité d'y assister ensemble. Cela pourrait être une expérience tout à fait charmante. Que pensez-vous de cette idée, Miss Brown ?"

Hannah hoche doucement la tête, avoir quelques conseils d’une personne noble et de sexe masculin de succroit lui sera surement utile, car il est toujours interessant de connaitre la façon de penser de ces gentlemans. Après tout, les conventions sociales peuvent être perçues et vécues de manière bien différentes en fonction de l’individu. Ceci étant dit et les quelques problèmes de communication qu’ils ont pu avoir, étant dissipés pour le moment, l’anglais et l’américaine peuvent se détendre un peu. Au point même qu’ils arrivent à plaisanter un peu et se taquiner, cependant rien de bien méchant, au contraire, ça semble plutôt bon enfant à la jolie rousse. A la question de la demoiselle, sur la façon dont le Baron charme les jeunes femmes, l’homme plonge dans une certaine réflexion tout en se lissant la moustache. Ce qui ne manque pas de faire sourire la bourgeoise. Bien que cela aille bon train avec Monsieur Peyto-Verney, elle ne peut s’empêcher de trouver cette petite chose au-dessus de ses lèvres toujours un peu comique. Oui vraiment, l’anglais serait sans doute bien mieux sans cette moustache, cela rendrait son visage moins sévère, mais bien sûr, Miss Brown n’en dira rien, cela risquerait d’envenimer à nouveau la situation. L’homme finit par répondre à sa question par deux autres questions, ce qui fait réfléchir Hannah quelques instants.

— Cela dépend de Mylord, répondit la rousse avec un sourire amusé. Si vous voulez les utiliser sur moi, il convient en effet que vous les gardiez pour vous, comme vous l’avez bien dit cela y perdrait en attrait si je les connaissais d’avance. En revanche, si vous ne souhaitez pas les utiliser sur moi, vous pouvez donc m’en parler sans souci aucun, non ?

L’américaine se demande bien ce qu’il va répondre, dans le premier cas cela voudra dire qu’il compte la courtiser ou quelque chose d’approchant, dans le second cas, qu’il cherche simplement son amitié. Et s’il répond de manière détourné, la jeune femme ne sera pas plus avancé, mais au moins aura-t-elle tenté le coup pour essayé de décrypter les intentions du Baron.

— Vous êtes en effet plus flexible que ce qu’on pourrait croire, j’en ai moi même été témoin. J’imagine donc que si tel est le cas et ne faisant pas partie de votre cercle d’amis, je fais plutôt partie des personnes qui éveillent votre intérêt.  

Sinon, à l'invitation de ses parents il aurait surement décliné prétextant être attendu ailleurs, donc en acceptant de rester, il devait bien avoir une idée derrière la tête, non ? A moins que la saison mondaine n’ai déjà monté un peu trop à la tête de la rousse, après tout difficile ne pas se faire des idées alors que beaucoup de célibataires sont à la recherche d’un mari ou d’une femme. La conversation se poursuit et plus particulièrement sur leur point commun d’avoir une préférence pour la campagne que pour ma ville.

— Surtout en ce moment avec la reprise de la saison mondaine, Londres n’a jamais aussi été vivante et je dois le dire souvent bruyante. J’espère avoir l’opportunité de m'échapper un peu de la capitale durant cette saison, pour faire une petite pause de quelques jours.

Idée qu’elle devrait proposer à ses parents, ce qui leur fera certainement du bien à eux aussi, ils travaillent tellement.  Au sujet de sa famille restée aux États-Unis, Hannah opine de la tête espérant aussi les revoir bientôt, peut-être pour son mariage, qui sait.

— Où se trouve donc votre demeure de campagne ?  

La demoiselle reçoit une proposition pour une possible invitation à un Opéra en compagnie du Baron, ce qui est très aimable de sa part. Cependant, Hannah préfère rester sur ses gardes.

— Voyons comment se déroule et se termine cette petite balade en barque, je vous donnerais ma réponse pour peut-être partager avec vous cette expérience tout à fait charmante.   

Les lèvres de l’américaine s’ourlent d’un sourire, le Baron souhaite donc cultiver le mystère autour de ses techniques pour charmer une demoiselle, sans pour autant mettre de côté la possibilité qu’elle ne puisse les découvrir un jour.  La question pouvait alors se poser, car une telle déclaration de la part du noble pouvait presque sonner comme un aveu qu’il avait quelques intentions à son égard. Alors, est-ce que le cet homme avait dans l’idée de courtiser l’américaine ? La demoiselle le découvrirait bien assez tôt, ça ne fait aucun doute et sans doute que cela soulèverait bien d’autres interrogations, les nobles restent la plupart du temps entre eux. Enfin, se marier avec quelqu’un de la bourgeoisie a déjà eu lieu, mais ce n’est pas forcément très bien vu. De toute façon, il est beaucoup trop tôt pour réfléchir à pareille conjoncture, autant se laisser porter pour le moment.

— Vraiment ? Vous piquez ma curiosité, de quelle façon ai-je bien pu éveiller votre intérêt ? questionne la demoiselle. A moins que vous ne souhaitiez également garder le mystère sur ce point.

Certains doutes pouvaient demeurer bien sûr tant que rien n’était officiel, mais si cet homme se trouvait dans cette barque avec elle, jouant la carte du mystère sur ses intentions, il y a de forte chance que la bourgeoise ait une bonne idée desdites intentions. En pleine saison mondaine, ou les célibataires cherchent à trouver la personne avec qui partager leur vie tout en voulant s’élever dans la société, ça ne serait pas si étrange après tout. Leur échange se poursuit tranquillement sur leur intérêt commun pour la campagne plutôt que sur la ville, et au vu de tous les bals et les dîners mondains auxquels elle va participer avec les siens, prendre un bol d’air frais durant la saison mondaine lui sera très certainement salvateur.

— Je le pense bien, je sais que mes parents ont quelques bons amis possédant des demeures à la campagne et qu’ils y sont invités au moins une fois par an. Entre leur activité professionnelle et les mondanités auxquelles ils se rendent, se ressourcer à la campagne fera le plus grand bien à tous.  

En parlant de demeure à la campagne, Hannah découvre que le Baron en possède lui-même une dans le Warwickshire, qui se trouve non loin de Londres comparativement à certaines autres habitations.

— Vous êtes en effet plutôt bien situé, le voyage n’étant pas trop long si vous sentez le besoin de vous retrouver un peu de calme. Agréable d’avoir cette possibilité de vous reposer de la sorte en pleine saison mondaine.

La jeune femme reçoit une propostion pour une représentation à l’opéra, si cela est tout à fait charmant et aimable, l’américaine préfére prendre son temps. Même si tout se passe bien dans cette barque, elle a encore en tête ce moment passé durant le diner mondain auquel ils ont tous deux assistés. En effet, prudence est de mise.

— Merci de votre compréhension, je vous promets de ne pas vous faire attendre trop longtemps, il est de rigueur qu’une demoiselle sache se faire désirer, mais je ne suis pas très adepte de ce genre d’attitude. Pour vous répondre, en dehors des dîners et autres bals, j'espère avoir la possibilité de découvrir Londres plus en détails, j’aimerais me rendre aux Vauxhall Gardens pour m’y promener et y peindre et j'espère avoir l’occasion de voir le British Museum. Sinon et si le temps le permet, j’aime beaucoup pique-niquer dans la nature, c’est très agréable. Et vous même, y a-t-il des événements en particulier auxquels vous avez hâte de participer ?