A la recherche de l'épouse idéale ou presque. (Ft. Hannah)

Le soleil se couchait doucement alors que le Baron Willoughby de Broke était encore sur son bureau de sa maison à Londres. Cela faisait quelques mois qu'il avait découvert que son père était criblé de dettes, accumulées par des investissements hasardeux et des dépenses inconsidérées. Son père avait réussi à maintenir les apparences, mais la chute était inéluctable si Théodore n'agissait pas. Malgré le poids de la responsabilité sur ses épaules, il était déterminé à faire face à cette situation, alors il avait décidé de retourner à Londres pour éplucher les livrets de comptes de son père. La fortune familiale était menacée, tout comme le statut de Théodore et de sa famille dans la société. Il était hors de question pour le jeune homme de subir la honte et le rejet de la société.  

Théodore rassemblait les documents pour avoir une vison globale de la situation mais à chaque fois il découvrait de nouvelles dettes. Il devait trouver des investisseurs prêts à soutenir la famille, mais une autre idée germait dans son esprit : épouser une demoiselle avec une dot confortable. Il avait du abandonner l'idée d'un mariage d'amour. Il devait trouver une jeune fille qui serait prête à devenir Baronne, ce ne serait pas si difficile, ce titre n'est peut-être pas le plus prestigieux mais son ancienneté lui donnait une certaine distinction.

Alors que le soleil venait de se coucher, un domestique se permit de rentrer, lui rappelant qu'il devait prendre la route. En effet, plus tôt dans la matinée, le Baron reçut une lettre d'invitation d'un ami de son père, un ancien ministre, Lord Smith. Il avait été invité à un dîner mondain dans sa charmante demeure campagne, loin de l'agitation de la ville. Il connaissait très bien l'épouse de l'ancien politicien, elle était connue pour ses dîners de "célibataire". Avant le début de la saison, c'était une bonne occasion de rencontrer les demoiselles célibataires.

Le manoir de Lord Smith était situé dans un cadre idyllique, entouré de prairies verdoyantes et de jardin à l'anglaise. La route était longue, ce n'est qu'en début d'après-midi que Théodore arriva au domaine de ses hôtes. Théodore fut accueilli chaleureusement par le propriétaire des lieux et il l'emmena vers sa chambre pour qu'il puisse se reposer.

Avant le dîner, les invités étaient conviés dans le petit salon. Lord Smith lui expliqua qu'il y aurait environ une vingtaine d'invité dont une famille venant de l'étranger, il avait très hâte de lui présenter, Théodore était impatient de découvrir cette famille dont on disait très riche.

Le petit salon commençait à prendre vie, Théodore fut rapidement présenté à Mr et Mrs Turner, et leurs invités venus de l'étranger, les Brown. Le fait d'apprendre qu'ils étaient américains suscita une légère déception. Il avait secrètement espéré rencontrer une famille de la haute société, des aristocrates. Il avait grandi dans une famille anglaise respectée, avec des valeurs et des coutumes ancrées depuis des générations. L'idée de courtiser une américaine n'était pas vraiment dans ses plans mais il devait mettre de côté ses principes. Théodore était prêt à garder l'esprit ouvert et à se laisser surprendre. Et de toute façon, sauver sa famille était le plus important. Théodore devait rester pragmatique, comme tout noble qui se respecte, la raison prendrait le dessus sur les sentiments.

Malgré sa déception, Théodore afficha un sourire réjoui tout en s'inclinant légèrement en guise de salutation. Il n'en faisait pas de trop, ce n'était pas son genre. « Je suis ravi de faire votre connaissance. J'ai hâte de partager cette soirée en votre compagnie et d'en apprendre davantage sur vous tous. » répondu Théodore d'une voix posée. Son regard croisa celui d'Hannah pendant un bref instant, mais son attention fut rapidement détourné par Miss Davis. Il était presque impossible de ne pas remarquer l'éclat dans ses yeux, trahissant, sans doute, son excitation à l'idée de rencontrer un homme de son rang. « Le plaisir est partagé, Miss Davis. », répondit Théodore. «J'espère que ce dîner sera des plus agréables et qu'elle nous offrira l'occasion de faire plus ample connaissance. »  Il tourna légèrement la tête vers Miss Brown, « Miss Brown, j'espère également avoir l'opportunité de converser avec vous ce soir.» , ajouta-t-il avec courtoisie. Venant juste de les rencontrer, il ne voulait pas feindre un intérêt particulier pour l'une d'entre elles. Il n'y avait aucune arrière-pensée, juste une question de bonnes manières et de savoir-vivre.

Miss Davis répondu avec entrain à ce cher Théodore, elle espérait avoir l'opportunité de discuter avec le baron. C'était réciproque mais il ne pouvait s'empêcher de penser qu'elle était comme toutes les autres, oui c'était cruel, son sexe n'avait guère le choix de minauder devant les jeunes hommes pour espérer leur attention. Il pensa un court instant à Elinor, il l'avait trouvé si différente des autres débutantes qu'il avait pu rencontrer. Cependant, il ne fermait aucun porte et la saison n'avait pas encore débuté. Il accordait du temps à cette demoiselle, qui sait, peut-être qu'il trouverait en elle la future baronne ?  « Nous aurons tout le loisir de converser durant la soirée. » lui répondu-t-il avec galanterie.

L'autre demoiselle répondu également à Théodore mais avec moins d'entrain, ce qui n'était pas dérangeant, elle semblait plus réservée, enfin ce n'était que la première impression. La réponse du baron était donc adaptée à la situation et c'est avec retenue et qu'il répondu avec un simple mot. « Certainement. » Rapidement, son hôte l'entraîna vers un autre groupe de personne, les présentations devait se faire, ainsi, chacun pourrait discuter sans soucis. Dans cette société, les règles et les conventions étaient d'une importance capitale, et il était impensable d'engager une conversation avec une personne sans avoir été préalablement présenté !

Après avoir discuté avec quelques invités, Lord Smith indiqua à notre baron que sa chère femme souhaite lui parler. Sans trop y réfléchir, il se dirigea vers la noble dame, comprenant rapidement que tout cela était soigneusement orchestré. Si lady Smith était renommée pour ses dîners de célibataires, son mari devait certainement être un complice consentant. Théodore arborait un sourire poli alors qu'il répondait à l'épouse de Lord Smith. « En effet, lady Smith, votre réception est des plus agréables et j'ai eu le plaisir de faire la connaissance de quelques personnes fort intéressantes ce soir.» Comme il s'y attendait,  elle se hâta de trouver une excuse pour s'éclipser sans même lui accorder une réponse. C'était peut-être la raison du succès de ses dîners, pas de subterfuge, la maitresse des lieux s'efforçaient à ce que chaque demoiselle ait parlé au moins une fois à ces messieurs.

Le baron concentra son regard sur Miss Brown, prêt à entamer la conversation. Le sujet choisi ? La saison à venir, un sujet "sûr", enfin la plupart du temps. Le dîner n'allait pas tarder, il n'allait pas s'aventurer sur un sujet plus "sérieux". « Il semblerait que ce soit le moment que échangions ces quelques mots, Miss Brown. J'ai pu discuter avec votre cousine, très charmante. Elle a très hâte de faire ses débuts à Londres et semble apprécié ce genre de dîner. Et vous ? »  

À 35 ans, Théodore avait déjà vécu un bon nombre de soirées de ce genre. En tant que membre de la haute société, il était habitué à être invité à ces événements mondains où les nobles célibataires étaient évalués comme des marchandises sur l'étalage, surtout les demoiselles. Cependant, au fil des ans, ces soirées étaient devenues une formalité. Formaté par les conversations et les réponses à donner, il ne ressentait aucun plaisir à échanger, sans réellement sans apercevoir. Sans qu'il s'en rende compte, cet automatisme s'était progressivement installé, et il était le premier à blâmer. Théodore était souvent le premier à défendre les codes rigides de la société tout en ressentant une pointe de lassitude.

Avant le décès de son père, il n'avait jamais réellement pensé au mariage, à l'exception d'une union avec Elinor. Elle occupait une place spéciale dans son cœur depuis leur première rencontre, et il avait espéré la demander en mariage. Cependant, le destin en avait décidé autrement.

Contraint par l'hôtesse de la soirée d'engager la conversation avec la jeune Miss Brown, Théodore avait choisi d'être prudent en abordant le sujet de la saison mondaine. Mais, à force de jouer le jeu, l'authenticité n'était plus là. Les conversations se ressemblaient toutes, les sujets étaient prévisibles, et il avait l'impression de réciter des phrases apprises par cœur. D'ailleurs, il n'avait écouté que partiellement la réponse de la jeune rousse. Il lui fallut quelques secondes avant de se rendre compte de la question peu conventionnelle de l'américaine.

Lorsque Hannah suggéra de choisir entre une réponse formatée ou une réponse plus franche, Théodore esquissa un sourire surpris. Il appréciait son audace, mais était-ce bien correct de la part d'une demoiselle ? Une fois de plus, la contradiction se manifestait...

« Mademoiselle, je dois avouer que votre proposition d'une réponse plus franche pique ma curiosité. Allez-y, surprenez-moi... » répondit-il avec un brin d'admiration et en terminant avec une légère prétention. Il se demandait s'il allait regretter d'avoir encouragé cette franchise.

Théodore observait les convives autour de lui, tous engagés dans des conversations similaires, suivant les règles de bienséance. Cette scène lui était familière, presque banale à force de la répétition. Les soirées de célibataires, les rencontres arrangées, tout cela faisait partie de sa routine mondaine depuis de nombreuses années. À 35 ans, il en avait connu des bals et des soirées, mais tout était différent depuis qu’il avait hérité du titre. Il devait le pérenniser, combien de fois, avait-il entendu ce mot ? Il ne pourrait le dire. Il avait toujours été le premier à critiquer ces échanges superficiels qui semblaient se répéter inlassablement. Pourtant, ironiquement, il se rendait compte qu'il était également victime ou simple disciple de cette "pratique". Les conversations se ressemblaient toutes, les sujets étaient prévisibles, et il avait l'impression de réciter des phrases apprises par cœur.

C'est dans ce contexte que cette Miss Brown avait brisé cette monotonie en lui offrant une réponse quelque peu différente. Ceci dit, il n’était pas surpris que ce soit une Américaine qui ose ce genre de remarque, elle ne devait pas avoir l’habitude avec l’étiquette anglaise.

Un sourire subtil se dessina sur le visage de Théodore alors qu'il répondait à Hannah, choisissant de se montrer honnête aussi. Enfin, sans préciser qu’il était à la recherche d’une demoiselle dont la famille pourrait sauver la sienne. Il pouvait comprendre la pression qu’elle pouvait ressentir, ce n’était sans doute pas la seule à redouter ses débuts à Londres. En même temps, tout le monde n’avait pas l’opportunité de le faire. « Je vous comprends parfaitement, Miss Brown.», répondit-il d'une voix calme. « Les débuts à Londres peuvent être une expérience déroutante, surtout pour des personnes qui ne sont pas familières avec cet environnement.» Cela pouvait être interprété comme une pique à l'égard de l'Américaine, mais pas uniquement, il était indéniable que le bal de la reine était unique en son genre.

Théodore leva légèrement un sourcil lorsqu'elle parla du véritable amour. Un brin naïf de sa part, l’amour n’avait pas sa place dans les hautes sphères de la société. Le mariage était un contrat, une alliance. Le mariage d'amour était considéré comme un luxe rare plutôt que comme la norme. Certes, il avait été amoureux d’une demoiselle et était prêt à l’épouser, mais hélas, il avait dû y renoncer. Le devoir avant tout ! Le baron prit une légère inspiration avant de répondre à Hannah. « Trouver un parti adéquat qui satisfera non seulement les attentes familiales, mais aussi nos propres aspirations et désirs, peut-être une tâche ardue. Je le concède. Les mariages de convenance sont une réalité que nous ne pouvons ignorer. » Il réalisa qu’il avait été, sans doute, un peu trop réaliste et cru. Cette demoiselle était encore innocente, elle était jeune, elle avait encore le temps de voir la réalité. Après tout, faire ses débuts et faire de nouvelles rencontres pouvaient être une belle expérience. Il prit conscience que ses paroles étaient davantage destinées à lui-même qu'à elle, une façon de se rassurer sur la décision qu'il avait prise. « Mais je crois encore en la possibilité de trouver un équilibre entre devoir et bonheur. C’est tout ce que je vous souhaite.» repond-t-il avec entrain, tentant de rattraper ces propos précédents.

Elle semblait légèrement mal à l'aise, probablement se demandant si elle avait été trop loin dans ses propos. S’il avait trouvé la dame faisant honneur à son rang, il ne serait pas ici ou l’hôtesse ne l’aurait pas piégé pour qu’il discute avec la demoiselle. Il avait souvent entendu dire que les Américains venaient en Angleterre dans l'espoir de trouver un bon parti avec un titre, une manière d'établir un lien avec la noblesse et la tradition britanniques. C'était curieux, songea-t-il, de la part d'un peuple qui avait jadis rejeté le joug des Anglais. Les intentions de Miss Brown et de sa cousine semblaient aller dans ce sens, bien qu'il ne connaisse pas grand-chose de leur famille. Cependant, il n’était pas difficile de deviner qu’elles étaient là pour trouver un époux, une aubaine pour notre baron ? L’un veut un titre, l’autre de l’argent.

Il se demandait si la jeune rousse n'était pas aussi naïve qu'il le croyait, se demandant si ses parents ne l'avaient pas influencée pour rechercher un bon parti avec insistance. Avait-elle une intention cachée derrière ses paroles ? La cousine semblait plus entrain à cette vie de bal et de réception. D’ailleurs, il remarqua qu’elle les observait du coin de l’œil, manifestement impatiente que son tour vienne pour s'entretenir avec le baron. « Non, il n’y a pas encore de baronne à mes côtés.» repondu-t-il avec retenue. Au loin, les convives s’agitaient, le dîner allait être sans doute être servi.

Si la situation des jeunes filles était compliquée, et que leur seule issue dans la vie était de se marier, la vie des jeunes hommes qui avaient eu le malheur de ne pas naître le premier de leur fratrie n’était pas si simple non plus. Les titres et la majeure partie de l'héritage étaient généralement réservés à l'aîné de la famille. Théodore avait eu la “chance” de naître le premier, son destin était tout tracé, enfin, c'est ce qu’il pensait. La pression était sans doute différente, les attentes sociales pouvaient peser lourdement sur les épaules des jeunes femmes. Cependant, sa position n’était pas la plus enviable. Il sourit légèrement lorsqu'elle lui demanda s'il ressentait lui-même une forme de pression à l'idée de s'engager à nouveau dans cette nouvelle saison. Théodore prit une petite pause avant de répondre, choisissant soigneusement ses mots. « Je dois vous avouer que même si ce n’est pas ma première saison, celle-ci est différente. J’ai hérité du titre il y a quelques mois, j’ai donc une pression supplémentaire, je dois trouver une épouse digne de mon rang et veiller au bien-être de ma famille, car ils sont désormais sous ma responsabilité. Cependant, j’ai l’avantage de l’expérience, mais je suis convaincu que vos hôtes ont été de bons mentors. Votre cousine et vous-même semblez vous être acclimatés à nos us et coutumes. Je suis persuadé que vos débuts se dérouleront bien et les gens seront plus indulgents à votre égard. » La société anglaise aimait les commérages et surtout, juger les autres. Est-ce qu’ils seront plus indulgents parce qu’elle était américaine ? Il avait un doute, mais bon, elle le découvrira elle-même.

Sans mentir, oui, il reconnait en elle une certaine naïveté teintée d'un romantisme. Il ne pouvait s'empêcher de sourire, trouvant cela à la fois charmant et un peu candide, notamment de la part d’une demoiselle dont l’âge était de 24 ans. C’était cruel, mais après 25 ans, les filles non mariées sont considérées comme devenant trop “vieille”. C’est regrettable et malheureux, mais c’était la triste vérité. Cependant, il ne voulait pas la décourager et après tout, il n’était pas responsable de cette demoiselle, il avait déjà à faire avec sa sœur et son frère qui ne souhaitait pas se marier !  « Je suis désolé, je ne voulais pas paraitre trop direct. Je suis peut-être un peu trop terre à ce propos. Vous avez raison, il est essentiel de rencontrer quelqu'un avec qui l'on s'entend bien et de partir du bon pied dans un mariage. » Elle n’avait pas tort, s’il pouvait trouver une femme avec qui il s’entendrait, ce serait agréable, sinon, ils formeraient un couple comme bien d’autre, tout dans le “paraître”. Rien de romantique, mais il avait appris qu’il ne pouvait pas tout contrôler, encore moins les sentiments d’une demoiselle.

Apparemment, Théodore avait mal jugé les intentions de la demoiselle, à moins que cela ne soit qu'une stratégie délibérée de sa part ? Quoi qu'il en soit, il n'était pas vraiment d'humeur à en discuter ou à chercher des explications. Il se contenta de hocher la tête, comme pour lui faire comprendre qu’il n’y avait pas de malentendu. Avant même qu'il puisse formuler une réponse, on les pressa de se rendre dans la salle pour le dîner, mettant ainsi fin à leur conversation.

L'hôtesse avait fait preuve de créativité, rompant avec les règles habituelles de bienséance qui dictaient les places en fonction des titres et du statut social. Lady Smith avait décidé de faire preuve de fantaisie, arguant que dans ce petit comité à la campagne, on pouvait se le permettre. Ainsi, il se retrouva assis entre Miss Brown et sa cousine, dans cette configuration inattendue.

Théodore engagea la conversation avec la cousine, qui semblait être une jeune femme plus enjouée et plus dans son élément, contrairement à Miss Brown. Elle semblait un peu frivole, mais il se demandait si c'était réellement le cas où peut-être que c’était dû à la pression ou le désir de se montrer sous son meilleur jour. C’est à ce moment-là que l’idée de la courtiser lui vient à l’esprit. Il devait épouser une riche jeune femme qui, à défaut de pouvoir remplir son cœur d’amour, remplira les caisses de son domaine. Pourquoi pas cette Américaine ? Ce serait une transaction équitable, elle aurait un titre et lui, il sauverait son domaine. D’ailleurs, en discutant et en apprenant qu’il avait un frère, elle émit la possibilité d’une promenade à Londres lors de la saison, en compagnie dudit frère. Elle voulut interpeller sa cousine, mais ne voulant pas paraitre grossière en élevant la voix, elle confia la mission au baron, il aurait préféré ne pas être le messager. Il s'assura qu'elle ne discutait pas avec son voisin de table et l'interpella calmement. « Votre cousine souhaiterait savoir si vous seriez enclin à vous joindre à nous pour une promenade le long de la Tamise lorsque la saison sera entamée, en compagnie de mon frère et moi-même. » lui demanda-t-il avec une certaine réserve.

Ainsi donc, la cousine était sur le sol anglais depuis six ans, cela expliquait son comportement. D’ailleurs Miss Brown n’hésita pas à le souligner, elle est comme un poisson dans l’eau, comme pour expliquer que ce n’était pas vraiment le cas pour elle. Enfin, elle aura toute la saison pour savoir si cet environnement était fait pour elle, si ce n’est pas le cas, espérons pour elle qu’elle trouvera un époux rapidement afin d'éviter de devoir endurer plusieurs saisons successives. Quant à sa question sur les critères pour être une épouse digne, il ne put s’empêcher de laisser échapper un léger rire. Qu’attendait-elle exactement comme réponse ? Il n’allait pas lui donner une liste de critère, ce qui n’aurait aucun sens. Comme il l’avait dit plus tôt, le mariage convenance est une réalité et chacun savait ce qui était recherché. Pour les hommes, ceux-ci devaient avoir une bonne situation, s’il n’était pas l’héritier, il devait faire sa fortune seul ou à l’aide de sa famille. Les demoiselles devaient être accomplies et prêtes à assumer leur rôle de femme dans la société actuelle. Dans son cas, allait-il avouer que le critère numéro un était l’argent ? Évidemment que non ! Sans mentir, une demoiselle avec qui il pouvait s’entendre et avec qui il partage les mêmes valeurs serait également agréable. « Il est difficile d’établir des critères précis, mais il est important qu’elle ait une certaine compréhension des responsabilités qui accompagnent son futur statut. »  dit-il avec calme. On pourrait lui reprocher d’être trop pragmatique, pas assez romantique, mais il se l’était interdit depuis que sa situation était presque instable. « Ainsi, si Miss Davis est ici depuis six ans, je suis persuadé que votre cousine saura vous guider pour votre première saison. »

Ayant réalisé qu’il avait peut-être été trop direct, il avait décidé d’adoucir son discours sur le mariage. Heureusement, la demoiselle ne semblait pas avoir été trop bousculée, elle n’était pas sur le sol anglais depuis longtemps, en revanche, elle devait avoir compris que le mariage était une affaire complexe. « Je suis heureux de constater que vous me comprenez, il est vrai que ma situation m’oblige  à rester pragmatique.»  dit-il simplement, le sujet était plus ou moins clos.

Théodore observa discrètement le sourire malicieux qui éclaira brièvement le visage d'Hannah, mais il n'en fit pas mention. Il était difficile de savoir ce que ce sourire dissimulait, voulait-il le savoir ? Pas vraiment et il était l’heure de dîner. Alors qu’il discutait avec Miss Davis, l’idée de la courtiser lui vient à l’esprit. D’ailleurs, c’était bien parti, car elle émit la possibilité d’une promenade une fois à Londres. Il sollicita la rousse pour avoir son avis sur cette promenade. Elle semblait ailleurs, mais finit par répondre par l’affirmative ou presque, il faudrait demander l’autorisation à leur parent. « Si vous le permettez, Miss Brown, je souhaiterais me présenter chez vous et parler directement à vos parents. », déclare-t-il avec assurance, tout en effleurant délicatement sa moustache, il entrevoyait un avenir prometteur pour sa famille. Une missive ferait parfaitement l’affaire, mais il était plus judicieux de se rendre directement à leur domicile pour discuter et évaluer la situation. Il devait passer par les parents de Miss Brown, car s'il avait bien compris, ceux de Miss Davis n'étaient pas présents.

Il répondit à son simple acquiescement par un léger hochement de tête, préférant ne pas prolonger davantage la conversation sur ce sujet. Après tout, il était conscient que les anciennes colonies devaient être moins pragmatiques que les Anglais, même s’il avait entendu eu des échos sur la haute bourgeoisie américaine, qui avait des attentes élevées en termes de mariage également. Il doute fortement qu’un riche américain, laisse sa fille épouser un ouvrier. Théodore était indéniablement pragmatique, à l'instar d'une grande partie de la noblesse. Les bals somptueux et les dîners élégants n’étaient que des moyens pour faire connaissance avec des personnes du même milieu social et qui pourrait correspondre plus ou moins à nos attentes. L'amour et l'affection, quant à eux, étaient perçus comme de précieux bonus, mais pas nécessairement comme la priorité absolue. Théodore avait toujours été conscient de cette réalité même si l’année précédente, il avait eu la possibilité de trouver une demoiselle qui lui plaisait et il aurait pu concilier devoir et affection. Hélas, la mort de son père avait tout chamboulé.

Ainsi sa cousine ne jouera pas au “chaperon”, et Théodore aura tout le loisir de la courtiser. Il ne put s'empêcher de sourire en réponse à son commentaire. « Avoir quelqu'un de confiance à ses côtés est toujours précieux dans de telles occasions. » répondit-il avec une pointe d'enthousiasme.

Une missive aurait fait l’affaire pour la promenade, mais Miss Brown ne devait pas ignorer qu’une fois que les présentations avaient faites, cela impliquait des responsabilités et des devoirs. Lorsque vous intégrez une nouvelle personne à votre cercle social, il est important de maintenir un certain niveau de relation, même si cela ne vous enchante pas forcément. Ce n’est pas pour rien que l’on devait se faire introduire par une tierce personne, car tant que cela n’est pas fait, on pouvait s’ignorer. Il était primordial pour le baron de rendre visite aux nouvelles personnes qui étaient entrées dans son cercle social via ces dites présentations officielles. Réciproquement, il était attendu que chaque visite reçue soit également rendue, ce qui ajoutait un intérêt particulier pour notre baron moustachu. Si le baron rendait visite aux Américains, il était donc attendu qu'ils fassent de même et donc il aurait une occasion de plus pour “évaluer” la situation avant de demander officiellement de courtiser Miss Davis.

Théodore prit une légère inspiration, est-ce que les habitants des anciennes colonies étaient aussi différents ? Il n’y a pas si longtemps, ils étaient encore anglais, français ou encore hollandais. Devait-il réellement lui expliquer les conventions sous-jacentes, ces règles, tacites, bien connues de tous mais rarement formulés à voix haute ? Il ne laissa rien transparaître de son irritation intérieure, maîtrisant parfaitement le sourire parfait du gentleman. « Il est vrai que la balade en elle-même n'est plus l'unique objectif de ma visite, certes, je profiterais de ma visite pour demander l’accord à vos parents, mais vous devez sûrement connaître les règles élémentaires de notre société, Miss Brown. Mon seul but est de tisser des liens avec les personnes rencontrées ici. En vous rendant visite, j'exprime mon respect envers votre famille et mes intentions de nouer des relations positives pour l’avenir. » Sa voix était calme et contrôlée, mais une légère pointe d'arrogance pouvait se deviner dans son ton. Théodore était conscient de sa position sociale et des traditions bien ancrées dans la société, même si cela pouvait paraître excessif aux yeux d'Hannah. « Je suis désolé si cela peut vous sembler formel, mais ce sont les règles sociales que nous devons respecter et via celle-ci, je cherche à établir une relation basée sur la courtoisie. Je tiens à être un gentleman respectueux des convenances et je suis convaincu que vous apprécierez également cette marque de considération envers votre famille. » termina-t-il avec calme. Ce n’était un secret pour personne, le baron Willoughby de Broke était fier de sa place dans la société, il appréciait l'ordre et entretenir les traditions ancestrales sont deux choses qui lui tiennent à cœur. Il se souciait peu de ce que l'on pouvait dire de lui et de son côté trop guindé pour certain. Il prit une gorgée de son verre, gardant son regard fixé sur elle, attendant sa réaction.

Théodore regarda Hannah tandis qu'elle exprimait son mécontentement à voix basse. Il était conscient d'avoir adopté une attitude condescendante, mais il ne se sentait pas pour autant irrespectueux. Il ne voyait pas en quoi il avait commis une faute. À ses yeux, Hannah avait été légèrement agaçante par son manque de connaissance des règles de base. Il se disait qu’il lui faisait une faveur en le lui rappelant, certes à un dîner, mais c’était mieux maintenant plutôt que de laisser la société la juger lors d'un bal où tous les regards seraient tournés vers elle.

Il soupira discrètement, se disant qu'elle serait bientôt confrontée à des individus bien plus impitoyables. Des personnes qui n'hésiteraient pas à lui rappeler ses origines, sa classe sociale, la traitant avec dédain et arrogance. Comparé à ces personnes, il estimait avoir été plutôt correct. Il se résolut à garder ces pensées pour lui-même, sachant qu'il n'y avait rien à gagner en les partageant. Il prit une gorgée de sa boisson, essayant de garder son calme malgré l'agacement qui montait en lui. Il avait beau comprendre, en partie, sa réaction, il ne voyait pas pourquoi il devrait être critiqué pour avoir rappelé les règles de base, des règles dont il aimait respecter et que l’on respecte. C’était donc mieux pour lui et pour elle, qu’il ne rétorque pas. De toute façon, il n’avait plus rien à lui dire, c’était seulement dommage pour la ballade, mais cela ne l’empêchera pas d’avoir lieu.

Même s’il ne lui avouerait pas, elle avait raison sur une chose, il aurait pu éviter de la reprendre en plein dîner, c’était un peu indélicat de sa part. Théodore laissa un bref silence s'installer, puis finit par lui répondre en chuchotant près de son oreille.
« Bien, je vous souhaite une agréable soirée, Miss Brown. Puissiez-vous savourer pleinement ce dîner et les agréables échanges que vous pourrez avoir avec les autres convives. » conclut-il avec une subtile pointe d'ironie, sachant quelles conversations "codifiées" elle pourrait avoir. Ensuite, il se tourna vers la cousine pour continuer leur conversation.