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LA GARDEN PARTY DE PÂQUES-
Qui ne connaissent pas les fameuses Garden-Party de Pâques qu'organisait annuellement feu sa majesté la reine Charlotte ? En son honneur, la famille royale a décidé de perpétuer cette tradition ! Viendrez-vous nous rejoindre pour une chasse aux œufs ou une ballade en barque ? Venez Participer à la fête....
Une journée. Une seule journée. Voilà depuis combien de temps Emilia Fitzroy avait fait son arrivée à Londres en compagnie de ses parents. Une journée à peine et déjà, elle suffoquait. Son corset trop serré lui broyait les poumons et son visage semblait courbaturé par les si nombreux sourires forcés dont elle avait usé depuis ses premiers pas sur le sol Londonien. Après une première journée particulièrement éprouvante durant laquelle elle avait vu défiler des dizaines de femmes se présentant pour le poste de femme de chambre oh combien cher payé par ses parents inquiets, voilà que Lady Lorely Fitzroy, Duchesse de Lennox, s’était mise en tête de refaire integralement la garde robe de sa progéniture afin que celle-ci attire l’attention et brille aux yeux de tous.
Concernant le premier point, cela ne serait qu’une formalité. Emilia excellait dans l’art de se faire remarquer, la plupart du temps pour de mauvaises raisons. D’ailleurs, les rumeurs à son propos la qualifiant d’enfant rebelle aux cuisses légères semblaient ne pas connaître de frontières et malgré les démentis, elle avait entendu des paroles blessantes à son sujet lors de son passage en ville. Des Mères avides de ragots en tout genre. Par chance, si l’on pouvait appeler ça comme ça, Emilia était la fille du Duc de Lennox. Un homme puissant et fort sympathique, deux atouts majeurs qui devraient laisser quelques courageux venir se piquer les doigts sur cette jolie rose aux épines acérées. Des courageux à la recherche d'une plus grande fortune, sans doute... Emilia servirait d'appas...
D’essayages en essayages, la future débutante restait silencieuse, laissant la modiste prendre puis reprendre des mesures afin de la parer de robes somptueuses. Alors que la torture semblait terminée, pour quelques minutes au moins, elle put aller se rhabiller à l’abris des regards dans l’arrière boutique et, à sa plus grande surprise, une porte était ouverte au fond du magasin. Elle tenta de se contenir, se rappelant en boucle que Londres était sa dernière issue, qu’elle devait à présent bien se tenir mais la tentation était bien trop grande et la liste des boutiques suivantes, bien trop longue. S’en était trop. Elle manquait d’air, suffoquait, souffrait en silence.
Avec une agilité de maître, elle se faufilait dans l'entrebâillement et prit la fuite aussi vite que ses jambes le pouvaient. Sa longue robe bleu ciel était un fardeau dans cette course contre la montre. Etouffante et particulièrement visible, sa Mère ne mettrait pas longtemps à rattraper l’audacieuse avec l’aide de quelques passants. Comment passer inaperçu lorsqu’on est vêtue de la sorte ? Toutes les ruelles étaient gorgées de monde malgré l’inter-saison et cela ressemblait bien à une voie sans issue. A croire que son destin était tout tracé, qu’elle était vouée à n’être qu’un oiseau en cage toute sa vie.
Soudain, la porte d’une réserve semblait ouverte. The EnchanTea. Entrée clients à votre droite, pouvait-elle lire. Sans doute se trouvait-elle devant une entrée de service, interdite aux visiteurs, mais que pouvait-elle faire ? Y avait-il une meilleure option ? Après quelques brefs coups d'oeil pour s’assurer que personne ne puisse la dénoncer, elle se glissa à l’intérieur avec délicatesse, sans un bruit. Devant elle se dressait des étagères remplies de toutes sortes de thé. Un endroit paisible, silencieux et coupé du monde.
Epuisée par le poids des responsabilités qui pesait sur ses épaules, elle se laissa tomber au sol, cachée derrière une caisse de transport. Sa tête vint se poser contre le bois rugueux de la boîte, et enfin, elle put souffler. Respirer.
Elle ne resterait que quelques minutes pour se reposer avant de repartir discrètement...
Ça y est, la saison se termine tranquillement et Londres perd doucement ses habitants prestigieux qui repartent pour la plupart dans leur maison à la campagne. La boutique va tourner plus doucement pendant les prochains mois mais je ne vais pas m’en plaindre, cela va me permettre de souffler un peu et pourquoi pas de trouver de nouvelles variétés de thés. Mais cela me permettra également d’aller rendre visite à Abelia et voir comment vont se dérouler les choses à présent. J’ai bien compris que je n’ai plus l’étoffe d’un possible prétendant, encore moins aux yeux de la personne qui la prend sous son aile, mais il m’est légèrement compliqué de l’oublier. Enfin, cette période loin d’elle me permettra peut-être de faire de nouvelles rencontres.
Le dernier client sort de la boutique et voyant personne pour le moment, je décide d’aller ranger les dernières livraisons de thé reçues ce matin. J’entre donc dans l’arrière-boutique et commence à ouvrir les caisses tout en vérifiant les commandes. Mais je sursaute alors en m’approchant de la caisse au fond de la pièce quand je vois une personne se trouvant assisse à côté d’elle.
- Vous m’avez fait peur. Que fait donc une Lady dans une arrière-boutique ? Vous êtes vous perdue ?
A en croire sa robe, elle venait d’une bonne famille à n’en pas douter. Mais je me demande bien ce qu’elle fait ici et recroqueviller dans un coin de ma boutique. Surtout qu'elle risque d'avoir des soucis, et moi aussi, si elle est aperçue à sortir de ma boutique en ma compagnie sans chaperon.
La tête en appuie sur une grande caisse en bois, sans doute utilisée pour certaines livraisons, Emilia ferma les yeux quelques instants pour retrouver ses esprits. A mi-chemin entre rêverie et réalité, elle n’entendit pas les bruits de pas se rapprocher d’elle et une voix masculine vint la sortir de ses songes.
Devant elle se tenait un homme élégant, particulièrement beau, aux yeux azur comme elle en avait rarement vu. Il la dévisageait, interrogateur. Prenant enfin conscience de l'embarras de cette situation, ses joues se mirent à rougir de gêne alors qu’elle n’était pas encore sur ses deux jambes et se reposait toujours à même le sol.
D’un geste plus ou moins élégant, elle se redressa pour s’incliner en une délicate révérence. Était-ce bien utile après s’être logée clandestinement dans une réserve ? Sans doute pas. Elle releva le regard délicatement pour tenter de se dépêtrer de cette situation.
Pardonnez-moi Monsieur, ne me dénoncez pas je vous en prie. Voyez-vous, je.. je me cache.
Conditionnée par des années de reproches, elle entendait sa Mère dans son esprit lui répéter sans relâche “ Ne soit pas si franche Emilia, toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire !” Et pourtant, elle se cachait. Alors qu’était-elle censée fournir comme alibi plus conventionnel ?
Une nouvelle journée commence dans ma petite boutique. Elle est devenue légèrement plus calme depuis que la saison s’est terminée et que la plupart des grandes familles sont retournées dans leur maison de campagne. Néanmoins, les affaires continuent de fonctionner et je continue de vendre du thé et de gérer l’administration.
En allant dans ma réserve, je ne m’attendais pas à trouver une jolie demoiselle aussi bien habillée cachée derrière des caisses. La regardant d’un air interrogateur, je finis par lui demander alors ce qu’elle fait ici. Voyant qu’elle semble gênée par la situation, elle finit néanmoins par se lever et me faire une révérence avant de m’expliquer qu’elle sa cache. Qu’elle se cache ? Mais se cacher de quoi ? Car elle semble être de bonne famille et je ne veux pas que cela lui créer des problèmes mais pour moi non plus.
- Vous vous cachez de quoi ? Quelqu’un vous cherche des ennuis ? Où se trouve votre famille, je vais vous ramener à eux.
Je dépose ce que j’ai dans les mains, m’apprêtant à aller fermer la porte de ma boutique afin de chercher sa famille dans les alentours.
Son arrivée à Londres était on ne peut plus récente et déjà, la jolie Fitzroy s'était fait la belle et se retrouvait en fâcheuse posture, seule...avec un homme.. dans une réserve. Si par malheur quelqu'un l'apercevait dans une pareille situation, s'en était fini pour elle. Elle finirait au couvent ou pire encore, dans les bras d'un vieillard répugnant. Cette simple idée lui donna des hauts le coeur.
Elle redressa le regard en direction de l'inconnu, sans doute le propriétaire des lieux et lui adressa un aimable sourire pour tenter de le dissuader de cette folle idée. Non! Elle ne voulait pas retourner avec sa famille, pas plus que rentrer dans ce domaine loué qui était bien loin d'égaler l'écosse.
Pitié, non ! Dit-elle sans réfléchir. Je n'en peux plus d'essayer des robes depuis des heures entières, c'est un véritable supplice. Puis-je rester ici encore quelques minutes ? Je ne vous causerais pas d'ennuis, je vous le promet.
Une promesse difficile à tenir tant la jolie brune avait cette facilité pour s'attirer des problèmes. C'était inné chez elle.
Cette réserve est à vous ? Toutes ces références de Thé donnent l'eau à la bouche, lequel est votre préféré ?
Emilia Fitzroy dans toute sa splendeur. L'art et la manière d'arriver à ses fins, toute cette mascarade ne signifiant qu'une seule chose ; elle avait soif.
Je dois avouer que je ne m’attendais pas à trouver une lady cachée dans ma réserve un jour. Surpris devant cette rencontre inattendue, je regarde alors rapidement autour de moi, voir s’il y a une autre personne qui l’accompagne. Mais ce n’est point le cas. Que fait donc une jeune demoiselle cachée entre deux caisses de thé ? Je finis par l’interroger alors sur sa présence ici, lui demandant si quelqu’un lui cherche des ennuis et qu’on aille retrouver sa famille pour pas qu’elle reste seule.
M’apprêtant à retourner dans la boutique pour la ferme afin de l’aider, son « pitié », me stoppe d’un coup, et je me tourne vers elle, écoutant la suite de son récit. Ainsi donc elle a fui un essayage de robe ? Je ne savais pas que c’était un tel supplice, ce qui est normal dans un sens, n’ayant pas besoin de cette tenue au quotidien.
La demoiselle se balade alors dans la boutique, me posant quelques questions afin de détourner la conversation, ce qui me fait légèrement sourire, et ne me laissant ainsi pas tellement le choix sur sa présence dans ma réserve.
- Effectivement, la réserve m’appartient, tout comme la boutique d’ailleurs. Il y en a de nombreux thés qui sont vraiment très bons. Pour ma part, j’apprécie le thé au citron ou le thé noir. Mais il y en a pour tous les goûts. Souhaitez-vous en goûter un ? Après tout, vous avez quelques minutes vous m’avez dit.
Je lui offre un petit sourire, avant de me lancer dans la préparation du thé au citron. Pendant que l’eau chauffe, je vers le mélange dans la tasse tout en lui demandant.
- Est-ce réellement un essayage de robe qui vous a fait prendre la fuite, ou y a-t-il autre chose ?
De toute évidence, son joli minois accompagné de son sourire angélique fonctionnait encore à merveille pour s'octroyer quelques passe droit. Rapidement, le jeune homme convia la demoiselle en fugue à prendre un thé, parfaitement cachée dans la boutique pour le moment fermée au public. Un programme bien plus sympathique que celui qui lui était réservé pour la journée.
Cette rencontre n'était qu'une avalanche d'erreurs en tout genre. Une entrée par effraction, l'absence d'une révérence élégante ainsi que de présentations formelles. Les joues rougies par ses maladresses.
Pardonnez-moi, je ne me suis pas présentée. Emilia Fitzroy, fille du Duc et de la Duchesse de Lennox. Evidemment, cela reste entre nous. dit-elle, confiante.
Saisissant la tasse chaude au creux des ses mains gantés, Emilia sentit la chaleur s'engouffrer dans tout son corps avec douceur. De quoi apaiser son esprit vagabond et lui donner suffisamment d'assurance pour répondre à l'homme qui se tenait en face d'elle.
Pour être honnête, les essayages sont le cadet des mes soucis. Je déteste cette ville, ces rues pleines de monde, et ces repas interminables à toutes heures de la journée. Londres n'est pas une ville faite pour moi, j'ai l'impression d'étouffer partout où je me rends.
La jolie Fitzroy était arrivée il y a à peine quelques jours et voilà qu'elle suffoquait déjà, enfermée dans cette cage dorée sans qu'elle ne puisse broncher. S'en était trop ! Pourtant, le pire restait à venir, d'ici peu, elle rejoindrait son parrain... pour le meilleur... et le pire...
Une fois le liquide tiède, elle plongea ses lèvres pour savourer ce nouveau thé aux notes fruitées.
Ce thé est de loin le meilleur que je n'ai jamais gouté ! D'où vient-il ? N'en prenez-vous pas une tasse ?
La demoiselle sait comment faire pour se sortir d’une situation qui n’est pas à son avantage en changeant de conversation. Je soupire légèrement, n’ayant pas d’autre choix que de la garder dans la réserve en attendant. Je décide donc de lui offrir une tasse de thé et pendant que je prépare la boisson, celle-ci se présente alors et j’apprends donc qu’elle est fille d’un Duc, rien que ça. J’espère que je n’aurais pas d’ennuis par la suite… J’imagine que s’il voyait leur fille avec un marchand de thé, ils ne seraient pas très enthousiastes.
- Enchanté Lady De Lennox. Je m’appelle Matthew Wilson, propriétaire de cette boutique. Je ne dirais rien. Mais cela ne va pas vous posez de soucis de vous absentez ainsi ?
La tasse fumante, je la tends alors à la demoiselle avant de demander alors la réelle raison de sa fuite, car je doute qu’une séance chez la modiste soit si désagréable que cela. Enfin, je ne suis pas une demoiselle, j’imagine que cela n’est pas tout à fait pareil que pour un homme. J’écoute alors la demoiselle me dire qu’elle ne se plaît pas dans la ville car elle a l’impression d’étouffer.
- J’imagine donc que vous ne venez pas d’ici pour me dire tout cela. D’où venez dans ce cas ?
J’imagine qu’elle vient d’arriver en ville pour avoir ce point de vue. J’espère qu’elle changera d’avis avec le temps tout de même.
- Merci beaucoup. Il vient des Indes. Et si j’en prends un également.
Je lui souris avant me servir une tasse de thé et de me tourner vers la demoiselle.
- Participez-vous à la prochaine saison ou votre époux est à votre recherche en ce moment ?
Epuisée par tous ces essayages, ces repas interminables et par la pression qui pesait sur ses épaules, Emilia se délecta de la boisson chaude qui lui avait été offerte. Une petite parenthèse de calme bien mérité. Aurait-elle des problèmes ? Assurément.
J'imagine que l'on me cherche. Et que j'aurais le droit à une énième leçon de morale à mon retour, mais soyez sans crainte, je ne vous causerais pas d'ennuis Mr Wilson. Je partirais dès ma tasse terminée.
En matière de fugues, elle était douée. Malgré des moyens toujours plus grands pour la faire surveiller, elle savait ruser et se faufiler discrètement à toute heure du jour ou de la nuit. C'était d'ailleurs l'une des raisons (sans doute la moins grave) qui les avaient poussés à confier leur unique fille aux mains d'Alistair Graham. Pour sauver sa réputation, pour la remettre dans le droit chemin...
Ma famille et moi arrivons d'Ecosse. Nous rendons visite à un membre de la famille, Lord Alistair Graham, peut-être avez-vous déjà rencontré le futur Duc ?
Si c'était le cas, peut-être pourrait-elle en apprendre davantage sur cet homme à la réputation immaculée. Son futur bourreau. Lorsque son sauveur vint à évoquer la possibilité d'un époux dans les parages, elle manqua de s'étouffer avant de sourire.
Pas d'époux en vue, fort heureusement. Je.. je participerai bien à la prochaine Saison. Avez-vous déjà assister à l'un de ces bals dont tout le monde parle ici ? J'ai bien peur de ne pas être à ma place.
Et pourtant, elle était belle, intelligence et intrigante. Plus jolie que beaucoup d'autres futures candidates, mais son joli minois ne suffisait plus. Malgré les démentis, le doute subsistait et les commérages allaient bon train malgré la distance qui séparait Lennox de Londres ; Emilia Fitzroy avait-elle vraiment eu une aventure avec un garde ?
A cause de ces ragots de couloir, bien des mères dissuaderaient leurs fils de s'approcher d'une si jolie rose aux épines tranchantes... Question de réputation, comme toujours !
Je m’inquiète pour la demoiselle, savoir qu’elle a fuit son essayage de robes pour se retrouver dans l’arrière-boutique d’un homme, seule, sans chaperon. Et je ne veux pas me risquer à avoir des soucis avec elle non plus. - C’est surtout pour vous que je m’inquiète plus que pour moi. Une énième leçon de morale ? Fuyez-vous régulièrement vos essayages de robes ? Faites attention, il ne faut pas que cela vous crée des ennuis et que vous deviez épouser un homme à cause d’une mauvaise situation.
Cela peut être très vite interprété par des passants et amené à une situation délicate pour les deux, ce qui serait fort dommage, même si la demoiselle n’est pas désagréable à regarder. Mais je suis moins sûr que ses parents soient d’accord que le mariage de leur fille se fasse ainsi. Je finis par lui demander d’où elle vient, car ses propos me font penser qu’elle n’est pas de Londres. Elle est donc écossaise.
- Je vois. Ce nom me dit vaguement quelque chose, mais je n'ai jamais eu l'occasion de discuter avec lui.
J’ai déjà du le rencontrer lors d’événements organisées mais nous n’avons pas pris le temps de discuter davantage. Ainsi donc, elle participera à la prochaine Saison. J’imagine que ses parents l’ont envoyé ici afin qu’elle puisse faire un bon mariage.
- Fort heureusement ? Vous ne souhaitez pas vous mariez ? J’ai déjà eu l’occasion d’y assister oui. Ce sont des moments intéressants, qui permettent de découvrir de nouvelles personnes et de peut-être trouver notre époux ou épouse. Je suis sûr que vous trouverez votre place avec le temps et si vous avez besoin, je serais ravi de vous aider au début.
Comme l’inviter à danser ou venir discuter avec elle.
Malgré les innombrables leçons de bonnes manières auxquelles Emilia avait été contrainte de participer, elle se mit à rire aux éclats. Pas le genre de rire discret que l’on avait tenté de lui apprendre, oh non, un rire franc, chaleureux.
Pardonnez-moi ! J’ai bien peur que vos conseils arrivent trop tard. Les ennuis ont déjà frappé à ma porte depuis bien longtemps Monsieur Wilson. A ce stade, je suis immunisée contre les réprimandes en tout genre. Je ne parlerai pas de vous, c’est promis. Je ne voudrais pas vous créer des soucis.
Et quel souci ! Emilia n’était pas folle, son Père était un homme fortuné et respécté pour son savoir vivre et son titre, il possédait un carnet d’adresse bien rempli et n’hésiterait pas une seconde à mener la vie dure à un commerçant de thé qui aurait eu l’audace de cacher sa jeune brebis.
Le mariage est un sujet épineux. Rare sont ceux qui ont la chance de contracter un mariage d’amour. On attend bien des choses de la fille d’un Duc, Monsieur Wilson, mais certainement pas d’aimer. Le mariage est une supercherie, ce sont des alliances entre des familles en quête de pouvoir, de fortune.. Est-ce là quelque chose dont je devrais me réjouir ?
Son ton maussade n’était clairement pas adapté à son rang mais la jolie Fitzroy s’en moquait, elle avait besoin de vider son sac et cet homme, poli et discret, semblait être la personne idéale pour confier son dégoût de Londres et des mondanités.
Un peu d’aide ne sera pas de refus, si je survis d’ici là. Dit-elle, pleine d’exagération.
La jolie brunette était une demoiselle spéciale. Tous étaient unanimes pour vanter sa beauté en plus de son rang, mais sa spontanéité effrayait et faisait tache dans le décor et elle ne donnait pas longtemps à Mr Wilson pour entendre les rumeurs à son sujet. A ce moment là, il prendrait la fuite et retirerait son offre, elle en était persuadée.
Le rire de la jeune femme me fait alors lever un sourcil, interrogateur, ne comprenant point ce qu’il y avait de drôle dans ce que je viens de lui dire. La demoiselle m’apprend alors que les ennuis, elle en a régulièrement tout comme les réprimandes mais qu’elle promet ne pas parler de moi pour ne pas me créer de soucis.
- Si vous avez tant d’ennuis que cela, pourquoi continuer à vous en créer ? Je ne trouve cela point amusant comme vous semblez le prendre, surtout pour une demoiselle de votre rang. Je peux comprendre que votre vie n’est point « drôle » mais imaginez vos parents qui vont aussi s’inquiétez pour vous. Enfin, vous semblez savoir ce que vous faites alors tant que je n’ai pas de problème de mon côté, faites ce que bon vous semble. Mais il ne faudra pas vous plaindre si un jour les ennuis sont bien plus conséquents…
Niveau ennui, je crois que je ne peux rien dire sur le sujet, ayant eu mon lot par le passé. Néanmoins, qu’elle continue a en créer autant, cela lui retombera dessus un jour et il ne faudra pas qu’elle s’en plaigne. J’imagine que la vie a ses côtés ne doit pas être facile tous les jours, surtout pour sa femme de chambre qui doit la surveiller… Le sujet du mariage arrive alors et elle semble bien pessimiste sur le sujet.
- Et que comptez-vous faire dans ce cas, chère Miss ? Vous rebellez ? La société ne vous verra malheureusement pas d’un très bon œil. Néanmoins, même si ce n’est pas un mariage d’amour au début, cela peut en devenir un avec le temps quand on apprend à connaître la personne que l’on a épousé. Mais sachez une chose, chère fille de Duc, que c’est parfois le même cas pour des gens de ma classe. Faire un mariage pour un contrat intéressant, voilà ce qui m’attend moi aussi. Ne pensez pas être la seule touchée dans ces mariages qui semblent être des supercheries à vos yeux. Car même si les sentiments ne sont pas forcément présents, vous pouvez tout de même avoir du respect pour cette personne qui sera à vos côtés et essayer de l’apprécier.
Pense-t-elle qu’en étant fille de Duc il faut la plaindre ? Nous sommes pareils, même des gens du bas peuple, car nous aussi notre but est de réussir dans la vie. Je souffle, me pinçant l’arrête du nez pour me calmer, sentant légèrement la colère monter en l’entendant parler. Je prends ensuite une gorgée de thé, tandis qu’elle accepte ma proposition d’aide durant les prochains événements de la saison suivante.
Emilia déglutit, consciente que ses propos avaient eu un impact un peu trop fort. L’homme jusqu’ici calme et bienveillant se montra sous un angle nouveau : agacé. Elle se pinça alors la lèvre, honteuse de l’avoir ainsi fait sortir des ses gonds et en même temps amusée de la situation. Finalement, c’était peut-être une bonne chose de se faire remonter les bretelles par quelqu’un d’autre, de différent, d’une autre classe. Une manière de la remettre à sa place et de lui faire comprendre qu’elle n’était pas la seule à devoir composer avec les règles détestables de cette société dans laquelle elle ne trouvait pas sa place. Elle qui rêvait parfois d’une vie plus simple, sans titre, compris alors que tous, peu importe leur place, étaient pris au piège dans des responsabilités différentes.
Je..je ne voulais pas vous vexer Monsieur Wilson. Pardonnez mes propos. Je ne sais mentir et feindre de faux sourire pour me faire passer pour celle que je ne suis pas, mais vous avez surement raison, je n’ai guère à me plaindre.
Toute sa vie n’avait été que dorures, privilèges et bienveillance. Elle avait la chance d’avoir à ses côtés des parents aimants et soucieux de l’avenir de leur unique demoiselle et ça, elle l’oubliait parfois.
J’ai aimé. J’ai aimé un homme d’un amour profond, sincère et authentique. Mais il n’avait ni titre ni argent. Un garde honnête et travailleur. Un homme qui ne méritait soit disant pas l’attention d’une jeune fille titrée. Pensez-vous cela raisonnable ? Je ne le crois pas, je ne l’accepterai jamais. A quoi bon réduire le mariage à une échelle de richesse plus qu’à l’union de deux âmes ?
Le débat était complexe et les deux jeunes gens ne semblaient pas d’accord sur de nombreux points. Si le premier était raisonnable et semblait accepter son destin avec résilience, la demoiselle quant à elle ne pouvait se résoudre à se taire et obéir. Un garde, un commerçant, du pareil au même. Par ses mots elle tentait de faire comprendre au séduisant Wilson qu’il aurait bien du mal à trouver une épouse titrée. Et cela, en dépit des sentiments possibles.
Elle n’avait pas sa langue dans sa poche et risquait une fois de plus de s’attirer des ennuis. Si elle provoquait la colère du marchand de thé un peu trop fortement, il n’avait qu’à lever le petit doigt pour lui attirer de sérieux problèmes.. La fille du Duc de Lennox s’introduit illégalement dans une réserve. Des gros titres à scandale qui réjouiraient bien des lecteurs avides de commérages..
Vexé ? Je dirais plutôt agacé par son comportement. Je peux imaginer que sa vie ne soit pas toujours simple, ne la connaissant pas après tout, mais elle n’est pas la seule personne dans cette situation.
- Je ne vous demande pas de vous faire de faux sourire et de mentir, je peux imaginer que la situation n’est pas toujours simple. Mais sachez que vous n’êtes pas la seule dans cette situation et que vous aurez beau fuir cette vie que vous ne voulez acceptez, elle reviendra toujours à vous. Vous devriez essayer d’accepter votre destin et faire en sorte que votre vie se passe correctement avec la personne que vous épouserez par la suite.
C’est ce que j’essaye de faire pour ma part, essayer d’accepter mon futur. A quoi cela sert-il de fuir, je sais que cela me rattrapera un jour, alors autant faire en sorte que la relation avec ma future épouse se déroule au mieux. Je l’écoute alors me parler d’amour. D’un amour sincère qu’elle a eu pour un homme qui ne possédait ni titre, ni fortune. Un garde a qui on a refusé la main de cette jeune demoiselle parce qu’il ne possédait rien pour pouvoir l’épouser.
- Je comprends votre colère, mais que voulez-vous faire ? Tant que la société sera ainsi, les choses ne changeront jamais… J’ai aimé aussi. Une femme qui devait m’épouser mais elle a du jour au lendemain récupéré un titre et je n’ai plus eu le droit de l’épouser, n’étant plus un parti intéressant pour elle. Mais que puis-je faire ? Je ne souhaite pas lui porter préjudice et j’espère qu’elle sera heureuse par la suite. Mais je ne perds pas espoir en l’amour.
Un jour qui sait, je pourrais avoir une épouse pour qui mes sentiments se développeront pour elle à nouveau.
Etrangement, malgré les tensions palpables dans l’atmosphère, Emilia se sentait mieux. Elle se sentait moins seule dans sa détresse, moins seule devant ce fardeau qu'étaient les règles de la société. Moins seule dans ce système de caste où l’on rangeait soigneusement les gens sans même tenir compte de leurs valeurs ou de leurs compétences. Elle plongea ses lèvres dans le liquide tiède, savourant ainsi ses dernières minutes de conversation avant que toute la ville ne soit informée de sa disparition. La duchesse Fitzroy était une mère anxieuse à toute heure du jour et de la nuit lorsqu’il était question de sa fille, nul doute qu’elle devait déjà se ronger les ongles au sang de l’avoir perdu de vue une nouvelle fois.
Je suis navrée pour vous. Ce n’est pas juste.
A son goût, le charmant Wilson était un homme trop résigné, trop fataliste. Le monde devait changer, et chacun devait apporter sa pierre à l’édifice d’une nouvelle aire, mais peut-être avait-il raison après tout ? Il semblait si calme et apaisé contrairement à elle. Laisser le destin faire son chemin, c’était peut-être ça la clé de la tranquillité ?
Elle s'adoucit, moins virulente et téméraire, de nouveau parqué dans ses bonnes manières pour calmer le débat.
Si vous n’êtes pas marié, nous aurons sans doute le plaisir de nous revoir lors de la saison prochaine, n’est-ce pas ? Allez-vous y participer ?
Enfin, était-ce vraiment un plaisir de côtoyer cette jeune demoiselle insouciante ? Quoi qu’il en soit, la présence de cet homme, de sa première rencontre à Londres serait d’un grand réconfort lorsque tous les regards seraient braqués sur elle, en quête du moindre faux pas et d’une nouvelle rumeur à colporter…
Le monde n’est pas juste. Il est rare que les choses soient justes. L’exemple de mon échange avec la jeune demoiselle Wilson n’est pas juste. Parce qu’elle est une fille, elle ne peut héritier du titre et de l’affaire, devant tout céder à un homme. Je ne me plaindrais pas de la situation parce qu’elle est favorable pour ma personne, mais ce n’est point juste tout de même. De nombreuses situations ne sont pas justes, mais c’est notre société qui le veut ainsi. Je lui offre alors un petit sourire quand elle me dit être navrée pour moi. J’imagine que les choses devaient se passer ainsi. Cela me fait encore mal, mais j’arrive à tourner la page doucement.
- Je vous remercie de votre sollicitude. Et je suis navré également pour vous.
J’espère pour elle qu’elle trouvera un prétendant convenable lors de la prochaine saison qui lui fera oublier cet amour. En attendant, je lui propose tout de même mon aide, malgré le fait qu’elle m’ait tout de même agacé. Mais j’imagine que quand on arrive dans un endroit, avoir un peu d’aide ne fait pas de mal.
- Je ne suis pas marié effectivement donc nous risquons de nous revoir lors de la saison prochaine. Je vais y participer oui.
Et nous verrons bien comment les choses se déroulent lors de celle-ci.
Par chance, le jeune Wilson ne semblait pas rancunier et malgré la tension palpable et cette discussion risquée, il resta calme et bienveillant à son égard. Emilia avait l’habitude d’agacer son monde par son attitude rebelle et désinvolte et la plupart du temps, cela finissait en hurlements dans les couloirs du domaine familial. Il n’en fut rien cette fois, les deux célibataires retrouvèrent leur calme.
Avez-vous des conseils à me donner ? Je suis morte de peur à l’idée de me retrouver au milieu de toute cette foule. On m’a dit que certaines mères étaient redoutables et que certains hommes étaient de beaux menteurs prêts à tout pour étendre leur fortune. Comment savoir que l’on me ment..
La jeune Fitzroy ne s’enfuyait pas toujours dans les bois environnant, souvent, elle rejoignait les cuisines du domaine pour discuter avec les employés de maison. A force, elle avait réussi à casser les barrières et se lier d’amitié avec les femmes de chambres, les cuisinières et même avec le jardinier. Dans ce monde d’en bas, les potins étaient toujours croustillants et…effrayants. Des épouses maltraitées, des mariages arrangés, des secrets de famille en tout genre.. Voilà qu’à présent c’était à son tour de démêler le vrai du faux… A qui faire confiance ? De qui se méfier ? Des tas de questions qui tournaient dans sa tête sans relâche.
Ma famille et moi venons tout juste de poser nos valises dans cette ville. Tout ici me semble fade par rapport à la beauté des prairies écossaises, mais j’imagine qu’il y a tout de même quelques incontournables. Dites moi Mr Wilson, que faut-il absolument visiter à Londres ? Dit-elle en sirotant à petite gorgée son thé encore chaud.
Des conseils à lui donner ? C’est une excellente question. Même moi je mériterais d’avoir quelques conseils pour me débrouiller dans la société.
- Effectivement, certains hommes souhaitent agrandir leur fortune et certaines mères sont prêtes à tout pour élever leurs filles dans la société. Je n’ai pas de conseils à vous donner, à part vous méfiez des personnes et ne pas accepter trop vite de fiançailles. Mais je ne suis pas le meilleur pour donner des conseils je pense.
Je suis loin d’être le meilleur d’ailleurs. Je pense qu’il faut mieux faire les choses et voir ce que ça donne tout en essayant de se renseigner sur les personnes autour de nous, je crois. Mais il faut se méfiez des gens autour de nous car j’imagine que certaines personnes proches de nous peuvent vous plantez un couteau dans le dos s’il le faut pour se protéger.
- Il est vrai que ce ne sont pas les mêmes paysages, mais il y a des choses magnifiques à voir en ville aussi. Vous pouvez faire une balade le long du Thames, marcher des dans jardins comme les Kensington gardens ou aller à l’Abbaye de Westminster. Il y a vraiment de beaux endroits, vous n’aurez pas le temps de vous ennuyer à Londres.
Il y a de magnifiques lieux pour faire des balades en ville, même des endroits un peu reculer, un peu secret et j’avoue que je les apprécie aussi.
Emilia soupira. De toute évidence, le chemin qui la menait jusqu’au mariage tant attendu par la famille Fitzroy serait rempli de doute et d’obstacles, une perspective qui ne réjouissait pas la cadette de la famille.
Il ne me reste qu’à croire en ma bonne étoile dans ce cas. J’ose espérer que le destin ne me jouera pas des farces, je n’ai pas la force ni l’envie de me battre éternellement.
Résignée. Elle devait se faire une raison, tôt ou tard elle finirait pas accepter cette vie, la vie d’une jeune femme titrée qui devrait parvenir à briller en société. Et si les choses n’étaient pas si terribles, finalement ? Si la chance était de son côté, elle pourrait se plaire dans cette nouvelle vie qui lui tendait les bras, avec un époux conciliant qui ne s’offusquerait pas de voir son épouse partir à cheval, s’essayer à l’escrime en cachette. Avec un peu de chance elle parviendrait à trouver un allié, un confident.
Je vous remercie pour vos conseils, je tâcherai d’être un peu plus optimiste. Je dois bien admettre que l’architecture Londonienne est particulièrement plaisante. Je vais encore profiter du calme de l’intersaison pour me préparer à l'effervescence à venir..
D’ici peu de temps, la ville serait en pleine ébullition, remplie de tout le gratin de la haute société. Ici, dans le salon de thé, elle se sentait en sécurité, dans une petite bulle paisible et viendrait s’y ressourcer si elle venait à en ressentir le besoin. Emilia termina la tasse de thé avant d’inspirer profondément.
Monsieur Wilson, je pense qu’il est temps pour moi d’abréger l’inquiétude de la Duchesse et d’affronter ses réprimandes. J’ai passé un agréable moment et je vous suis redevable de m’avoir caché ainsi du monde extérieur le temps d’une pause. Je ne sais comment vous remercier, mais saurais vous apporter mon aide en retour si vous avez besoin de quoi que ce soit.
Après tout, sa fortune lui offrait d’innombrables possibilités et si certaines choses ne pouvaient s’acheter, beaucoup d’autres oui.
Une dernière question. Sauriez-vous me dire où puis-je trouver un endroit où me rendre utile. Un orphelinat peut-être ? J’aimerais trouver de nouvelles occupations en dehors des innombrables leçons auxquelles je dois assister. Quelque chose de plus charitable.
- Croyez en votre bonne étoile. Beaucoup de mariage fonctionne et les couples sont heureux.
Comme dit précédemment, l’amour n’est pas forcément au rendez-vous au début, mais il arrive avec le temps et certains deviennent très complices et les sentiments surviennent doucement. La demoiselle me demande par la suite ce qu’elle peut visiter dans la ville afin qu’elle se familiarise avec celle-ci, ce qui est une bonne idée.
- Profitez-en oui, vous ne serez pas embêtée dans vos visites car vous n’aurez pas tout le monde.
Tous les gens de la haute étant rentré dans leur demeure à la campagne, elle ne sera pas trop ennuyée pour voir les différents monuments de la ville. D’ailleurs, celle-ci est plutôt calme en ce moment, ce qui me laisse le temps pour ranger les différentes cargaisons de thés dans ma boutique et faire l’inventaire.
- Ne me remerciez pas. Faites attention à vous en rentrant c’est tout ce que je vous demande. Nous nous reverrons de toute façon. Pour l’orphelinat, je pense que vous en trouverez dans le centre-ville. Vous pouvez également apportez votre aide à l’hôpital, il cherche du monde de temps à autre.
Je ne me suis pas trop renseigné sur le sujet je dois dire, mais je pense qu’elle arrivera à trouver facilement en allant dans le centre-ville.
- Je vous souhaite bon courage pour la suite Lady Fitzroy et à une prochaine.
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