Judith Leveson-Gower - Why resist temptation when you can give into it ?

Par une fraiche nuit d’été, les premiers cris de Judith résonnèrent dans les couloirs du château de Dunrobin.  Après une grossesse difficile, la Marquise et son époux furent tout à leur joie d’accueillir le cinquième membre de leur famille, leur seconde fille, un petit trésor qui avait bien failli ne pas naitre, comme les autres enfants que la Marquise n’avait pu porter à terme. De ce tout premier jour, un lien particulier unit Judith et sa mère qui, sans pour autant négliger ses deux ainés, porta une attention toute particulière à sa plus jeune fille. Aucun effort ne fut épargné pour en faire un pur joyau de la haute société britannique. Son caractère volontaire et son énergie débordante furent canalisés par des cours de maintien, d’élocution et d’étiquette dès son plus jeune âge, auxquels virent bientôt s’ajouter les leçons de danse, de musique, de dessin, et toutes les disciplines qui feraient un jour d’elle une jeune fille accomplie. Et ce que ses précepteurs et sa gouvernante ne pouvaient lui enseigner, sa mère s’en chargea. La Marquise veilla ainsi à ce que sa progéniture soit toujours mise à la dernière mode, faisant de la petite Judith une véritable poupée vivante. Au fil des ans, celle-ci a naturellement hérité de la coquetterie de sa mère avec une pointe supplémentaire de vanité, au grand dam du Marquis, qui frôle régulièrement la syncope devant les factures faramineuses de robes, souliers, bijoux, paires de gants, chapeaux, rubans et autres accessoires de mode qu’il plait à Judith d’acheter à une fréquence effrayante.

Deux ans après sa naissance, la fratrie fut complétée par l’arrivée d’un deuxième fils, Francis. Bien que Judith ait alors été trop jeune pour se rappeler la naissance de son cadet, elle prit son rôle de grande sœur très à cœur et à mesure que les deux plus jeunes membres de la famille grandissaient se forma une relation complice entre Francis et Judith, qui apprit très vite à le mener par le bout du nez. Elle entrainait ainsi son frère dans ses aventures fantasques qui se soldaient bien souvent par une catastrophe et une réprimande bien sentie de leur père, et le petit dernier se faisait un devoir chevaleresque de couvrir sa sœur et de la protéger du courroux paternel, se retrouvant bien souvent puni pour des frasques dont il n’était même pas l’instigateur. Ces jeux, ils ne les partageaient pas vraiment avec leurs deux ainés. Alistair avait passé l’âge des enfantillages et Elea semblait constamment craindre les réprimandes de leur père, dont Judith comme Francis ne faisaient pas autant les frais malgré l’imagination débordante qu’ils employaient à faire les quatre cents coups. De cette différence de traitement se développa un grand contraste de caractère chez les deux sœurs et là où l’ainée se montrait réservée et docile, la cadette acquit une confiance en elle confinant à l’orgueil et une personnalité rayonnante que rien n’était venu éclipser. Pour autant, un lien aussi profond que complexe unit les deux sœurs. Judith aime beaucoup son ainée, même si elle ne le montre pas toujours de manière adéquate et les deux jeunes filles se retrouvent dans leur amour commun du piano. Jouer à quatre mains est un plaisir qu’elles ne se refusent jamais, et le charmant tableau des deux sœurs pianistes enchanta plus d’une fois les invités de la Marquise. Pour autant, si elle a joui de l’attention toute particulière de sa mère, Judith aimerait bénéficier de la même attention de la part de son père, qui lui a toujours semble plus préoccupé par ses deux ainés que par ses plus jeunes enfants. Non qu’elle envie la sévérité dont il fait preuve avec Elea, mais elle ne peut s’empêcher d’y voir une marque d’intérêt que le relatif laxisme dont il fait preuve avec elle-même ne reflète pas. Qui aime bien châtie bien, n’est-ce pas ? Il lui arrive parfois d’envier cette attention, si sévère soit-elle, et d’extérioriser cette jalousie en adoptant avec Elea une attitude similaire à celle de leur père vis-à-vis d’elle.

Si elle a conservé les dehors charmeurs et innocents de l’enfant qu’elle avait été, Judith apprit en grandissant à se montrer une redoutable manipulatrice, qui n’a pas son pareil pour amadouer. . Dans son esprit l’équation est simple : tant que cela lui permet d’obtenir ce qu’elle veut, tout est permis… dans les limites de la bienséance. Et force est de constater que les résultats sont en général probants, à une exception majeure près : son père. La résistance de ce dernier aux numéros de charme de Judith fut une source de tensions régulières entre le père et la fille, cette dernière entrant dans une crise de colère chaque fois que le « Non » fatidique sortait de la bouche du Marquis. Si le temps ne changea rien à la nature capricieuse de Judith, cette dernière vit de plus en plus les refus de son père comme des défis à relever. Les pleurs et trépignements rageurs firent petit à petit place aux sourires enjôleurs, aux minauderies et autres battements de cils déployés à chaque refus, sans pour autant parvenir à faire changer Philéas d’avis. La fermeté du Marquis devint néanmoins indispensable pour contrebalancer le côté pourri-gâté de sa fille et canaliser ses extravagances. Car autrement, entre les félins de Judith et les animaux exotiques d’Elea, les Leveson-Gower vivraient bientôt au milieu d’une véritable ménagerie !

Malgré une relation contrastée, père et fille partagent un amour et une complicité sincères. Soucieux de ne pas voir Judith devenir une ravissante idiote, le Marquis entreprit de partager avec elle sa passion du voyage et de la géographie. Durant toute son enfance, il nourrit son esprit de récits d’aventures et d’histoires exotiques sur des contrées lointaines, lui fit voir avec ses mots les splendeurs du monde connu et veilla à ce qu’elle soit formée aux langues étrangères. Depuis, Judith rêve de Paris, Milan, Vienne, de leurs opéras et de leurs théâtres, de leurs bals fastueux et de leurs boutiques de mode. En attendant de pouvoir parcourir l’Europe, la jeune fille se passionne pour les divertissements londoniens. Elle affectionne sincèrement l’opéra et ne manque jamais une occasion de s’y montrer, même si, une fois n’est pas coutume, elle est généralement plus absorbée sur ce qui se passe sur scène que par le spectacle qui se joue dans les loges. Lorsqu’elle n’est pas à l’opéra, Judith s’adonne autrement à sa passion pour la musique en jouant du piano, parfois des heures durant, emplissant la demeure des sonates de Mozart, Haydn ou Beethoven.

Cet attrait pour la ville et ses plaisirs, Judith l’éprouve au détriment de la campagne, qui lui parait bien terne et ennuyeuse comparée à l’effervescence de Londres, et malgré le luxe qui l’entoure dans les demeures familiales, la jeune fille finit rapidement par tourner en rond. Depuis toujours, chaque départ de Londres s’accompagne ainsi de son lot de protestations et de lamentations, quand l’approche du retour à la capitale provoque chez elle une euphorie qui la rend pratiquement intenable jusqu’au jour J. Elle éprouve cependant une affection particulière pour le château écossais qui la vit naitre, avec ses hautes tourelles surplombant les jardins et la mer. Si seulement il n’était pas perdu au fin fond des Highlands !

La maladie soudaine de Francis mit une fin brutale aux années d’insouciance. Alors que la famille se préparait à l’entrée dans le monde d’Elea, une pneumonie qu’aucun médecin ne fut en mesure de soigner emporta le benjamin en quelques semaines. A seize ans Judith perdit son compagnon de jeu de toujours, son confident, son complice. Mais quand tous les membres de sa famille pleuraient toutes les larmes de leur corps, Judith ne parvint pas à verser une larme. Le choc semblait l’avoir comme anesthésiée, jusqu’à cette nuit, quelques semaines après les funérailles de Francis, où la réalité la frappa de plein fouet. Et personne ne sut jamais rien du torrent de larmes qui trempa son oreiller cette nuit-là, car le lendemain, elle affichait bravement l’air enjoué et le sourire éclatant que tout le monde lui connaissait. Si son chagrin ne fut pas aussi apparent que l’on aurait pu s’y attendre, elle se recueille malgré tout de temps en temps sur la tombe de son frère.  

Au-delà de son chagrin contenu et de ses caprices occasionnels, Judith montre généralement au monde le visage d’une jeune fille affable et enjouée, au rire spontané et à la franchise désarmante. Si elle sait jouer de ses moues boudeuses, il est plus courant de la voir servir des sourires ravageurs à son auditoire et sa conversation animée et pleine d’esprit en fait une compagnie recherchée, en société comme en famille. De son jeune âge et de son enfance protégée, elle a conservé une naïveté propre à lui jouer des tours tant il lui est difficile de voir le mal chez les autres. Au-delà des fautes de goût en matière de vêtements ou de décoration, le seul défaut qu’elle puisse leur reconnaitre est éventuellement d’être en travers du chemin de ses ambitions. Mais s’il lui arrive de profiter de certaines situations à son avantage et de faire le nécessaire au détriment des autres pour obtenir sa propre lumière, elle ne piétinerait jamais les siens. L’amour que Lucinda porte aux êtres qui lui sont chers est aussi profond que sincère, et si elle supporte mal la contrariété, elle s’efforce néanmoins de ne pas décevoir les personnes qui comptent à ses yeux.

A l’approche de l’entrée dans le monde de Judith, sa mère décida de préparer sa fille à un mariage qui sûrement ne saurait tarder, en lui enseignant tout ce qu’il y avait à savoir sur les choses de l’amour, du moins sur le plan physique. Après une longue discussion qui laissa sa fille pour le moins perplexe, la Marquise laissa en vérité plus de questions que de réponses dans l’esprit de Judith. Depuis ce jour, la jeune fille est dévorée de curiosité sur le sujet. Après avoir ressassé cette conversation des nuits durant, l’imagination de Judith commença à tourner inlassablement autour de ce sujet et de l’homme qui lui ferait vivre ces expériences autrement que dans ses rêves.
Si sa mère a pris soin de remédier à son ignorance en ce qui concerne les plaisirs de la chair, la jeune fille demeure cependant une parfaite ingénue des sentiments amoureux. Et sa tête étant remplie des histoires d’amour qu’elle rencontre à longueur de pages dans ses romans, elle se laisse parfois secrètement aller aux rêveries naïves propres aux demoiselles de son âge… quoiqu’un peu plus pimentées.

Une opportunité fortuite de pimenter davantage ses rêveries se présenta bientôt à Judith quand elle surprit une fille de cuisine gloussant avec la petite bonne de leurs voisins, penchées sur quelques feuillets qu’elles tenaient cachés dans leur tablier. Judith s’empressa de confisquer les documents et de renvoyer la bonne chez ses maitres avant de jeter un œil aux pages qui semblaient tant distraire les jeunes domestiques. Ce qu’elle y vit lui fit monter le feu aux joues mais il ne lui fallut pas longtemps pour faire le lien entre ce qu’elle avait sous les yeux et la conversation qu’elle avait eue avec sa mère. Piquée de curiosité, Judith fit de sa servante un intermédiaire pour se procurer d’autres documents de ce type, en échange de son silence sur son comportement pendant ses heures de travail. Littérature libertine, gravures osées et poèmes grivois virent bientôt former une véritable collection secrète qu’elle prend soin de dissimuler sous les quelques lattes de parquet disjointes de sa chambre ou dans les tiroirs à double fond de son secrétaire.

Alors qu’elle s’apprête à participer à sa première saison, l’histoire sembla se répéter quand son frère ainé disparut subitement sur le continent. Lui qui écrivait si souvent à Elea ne donna plus signe de vie. Ce fut plus que les nerfs de la Marquise ne pouvaient supporter et elle fut en proie à une telle affliction qu’elle se trouva incapable de préparer et accompagner sa cadette lors de sa première saison londonienne. C’est donc entourée de sa grand-mère et de sa sœur que Judith s’apprête à entrer dans le monde, tiraillée entre le sort de son frère qui pèse comme une chappe de plomb sur l’esprit de sa famille et l’excitation qu’elle éprouve en anticipant les bals et diners somptueux qui l’attendent ainsi que, elle l’espère, l’attention des gentlemen qui viendront la courtiser.

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