I've a bad new... ft Abelia

Un nouveau jour se lève sur Londres et aujourd’hui, nous devons préparer du pain avec Abelia afin de l’offrir à ceux qui en ont besoin. Nous venons tous les deux d’un milieu où l’on n’a pas à se plaindre c’est pour cette raison que nous essayons d’aider ceux qui en ont besoin. Et puis, je viens à la base d’un milieu qui n’est pas favorisé puisqu’après tout, je suis fils de cuisiniers et non fils de commerçants. Même si personne ne doit découvrir ce secret, je ne peux renier cette partie de moi alors le fait d’aider les autres me fait plaisir.

Abelia ne va pas tarder à arriver et je termine de déposer les ingrédients que nous allons avoir besoin pour cuisiner. Je suis ravi de partager un moment avec elle, encore plus en cuisine car j’adore cela. Nous nous connaissons depuis longtemps maintenant avec Abelia, nos pères étant de très bons amis qu’ils ont même décidé de nous marier. En soit, cela ne me dérange pas car nous nous entendons plutôt bien, au moins je ne serais pas déçue par ma fiancée. Comme on dit, faut mieux se marier à sa meilleure amie car en général, les sentiments viennent par la suite. Le mariage sera sans doute prévu pour la fin de la saison car ça fait presque un an que nous sommes fiancés.

On frappe à la porte et j’ouvre à Abélia, qui est toujours aussi magnifique.

- Bonjour Miss Abélia. Comment vous portez-vous ? J’espère que vous êtes prête car nous avons du pain sur la planche.

Petit jeu de mot qui me fait sourire et je me dirige vers la cuisine afin qu’on puisse entreprendre notre tâche du jour.

- Avez-vous entendu parler du bal donné par la Reine ? Y serez-vous ? Nous avons reçu une invitation de sa Majesté et je comptais y aller en votre compagnie.

Il était prévu depuis longtemps qu'Abelia retrouve Matthew dans la belle demeure des Wilson, et la jeune femme se présenta à l'heure, comme toujours. C'était l'occasion où jamais, même si elle avait le cœur lourd. Ce n'était jamais facile d'être porteuse de mauvaise nouvelle. Cela faisait quelques jours à peine que la nouvelle avait balayé sa vie comme un ouragan, elle avait encore du mal à le réaliser même si elle le sentait dans ses pieds déjà douloureux de s'exercer à de nouvelles danses, et avec une rigueur dont elle n'avait pas l'habitude.

Abelia avait un visage expressif qui ne savait cacher ses tourments et Matthew ne la connaissait que trop bien, elle savait qu'il verrait tout de suite que quelque chose la préoccupe même si elle essayait de le cacher. Mais elle avait aussi envie de profiter de ce moment avec lui avant de possiblement tout gâcher, d'autant qu'elle adore faire du pain, enfoncer ses doigts dans la pâte moelleuse et collante. Un dernier soupire et la jeune femme arrangea sa tenue très sobre puis frappa à la porte.

Elle ne cacha pas sa surprise en voyant son fiancé lui ouvrir lui-même, mais vu vite rattraper par l'enthousiasme contagieux de celui-ci. Son jeu de mot la fit sourire, car il la connaissait bien.

- Bonjour Matthew ! Je vais bien, je vous remercie. J'ai hâte que nous commencions !

La jolie blonde aimait les activités manuelles qui n'étaient déjà pas digne de son rang avant - mais personne ne lui reprochait - et encore moins maintenant. Ces derniers jours avec la douairière sur le dos, elle n'avait pas pu faire quoique ce soit d'utile de ses mains, ce qui la frustrait ; mais pire encore, elle songeait que cette occasion serait peut-être la dernière avant bien longtemps. Elle espérait pouvoir retarder la discussion autant que possible, et par chance il n'avait pour le moment rien dit et peut-être rien vu de son air gêné, trop enthousiaste de ce moment qu'ils allaient passer ensemble pour le remarquer. Et puis il savait Abelia réservée, alors peut-être qu'elle n'était pas le livre ouvert qu'elle imaginait.

Elle le suivit à travers ces couloirs qu'elle connaissait par cœur en direction de la cuisine, et manqua de s'étouffer avec sa propre salive lorsqu'il aborda le bal de la Reine... Voilà qui ne l'aiderait pas à éviter le sujet pour le moment. Et puis elle fut surprise que les Wilson soient également invités, elle pensait que cette invitation tenait de leur nouveau statut parmi la noblesse anglaise.

- J'en ai entendu parler, oui, c'était pour le moins inattendu. Mes parents y seront, j'espère que vous pourrez les empêcher de se ridiculiser. Mais je n'ai pas prévu de m'y rendre, je quitte Londres demain.

Abelia observa son ami une seconde, les lèvres pincées et la mine désolée. Elle aurait dû être ravie de s'y rendre à ses côtés mais tout allait être différent maintenant. Est-ce qu'il était au courant, se demanda-t-elle soudainement ? Il connait bien son père et les nouvelles vont vites...

- Nous avons une nouvelle demeure à la campagne et je dois m'y rendre pour superviser le déménagement de ma collection. Il y a une si grande serre ! Finit-elle avec un sourire sincère, même si elle avait omis une grande partie de l'histoire. Tu viendras la visiter un de ces jours, n'est-ce-pas ?

Vieille habitude tenace. Depuis leurs fiançailles Matthew faisait en sorte de ne plus la traiter comme sa petite sœur et à raison, mais elle avait plus de mal et le tutoiement reprenait très vite le dessus. Et une question tout à fait prématurée. Abelia n'avait pas enlevée sa cape légère, ni sa coiffe, et trituraient ses propres doigts de ses mains gantées qu'elle regardait présentement.

- As-tu entendu la nouvelle ? Lui mentir était plus dur que de cracher le morceau, finalement.

Nous avons prévu ce moment depuis quelques jours avec Abelia, appréciant tous les deux la cuisine et aider les autres. J’ai été acheté tous ce qui nous faut afin de préparer les petits pains pour qu’on puisse les donner dans la journée aux personnes qui sont dans le besoin.

J’entends qu’on frappe à la porte et Abelia est à l’heure, comme dans ses habitudes, et toujours aussi jolie. Je lui offre un sourire avant de la faire entrer dans l’appartement. J’ai laissé Albert, le majordome de la maison, prendre sa journée car je n’avais pas besoin de lui et père n’étant pas présent car il est resté dans notre maison de campagne, me voilà donc seul dans la demeure. Je lui demande comment elle se porte et je suis ravi de savoir qu’elle va bien et qu’elle a hâte de commencer également.

- Je suis allé acheter tout ce qui nous faut pour cuisiner.

Nous nous dirigeons vers la cuisine et j’en profite pour lui demander si elle a entendu parler du bal donné par nos Majestés et si elle compte s’y rendre. Je comptais l’inviter à se joindre à moi pour l’événement car après tout c’est assez étonnant que la Reine nous invite. Faut croire qu’elle apprécie le thé que nous faisons importer. Elle m’apprend alors qu’elle n’y sera pas mais que ses parents seront présents. Je me tourne alors vers elle et je vois son visage désolé tandis qu’elle se pince les lèvres.

- Je ferais attention à ce que cela n’arrive pas alors. Vous ne serez donc point présente ? N’y a-t-il pas la possibilité de décaler votre voyage ?

C’est une occasion plutôt rare que de se rendre à un bal organisé par la Reine je trouve cela dommage qu’elle ne peut s’y rendre. Et cela aurait été l’occasion d’officialiser davantage notre union.

- Je viendrais avec plaisir voir cette demeure et cette serre. Mais vous ne pouvez pas vous rendre dans cette demeure une prochaine fois ? C’est votre père qui a acheté cette maison ?

Je n’étais pas au courant que sa famille avait acquis une nouvelle demeure dans la campagne. Mon père ne m’en a pas parlé et le sien non plus. Peut-être qu’elle souhaitait m’en faire part elle-même.

Une fois dans la cuisine, j’installe tous les ingrédients sur la table tout en l’écoutant me demander si j’ai entendu la nouvelle.

- La nouvelle ? Quelle nouvelle ? Non je ne suis pas au courant. Il se passe quelque chose ? Au fait, vous pouvez déposer vos affaires dans la pièce à côté si vous ne voulez pas les salir.

Après cette courte et étrange pause, elles suivaient toujours Matthew dans les couloirs de sa demeure, elle et la domestique qui la suivait. Une chose étrange et nouvelle, surtout qu’elle ne la connaît pas. Au moins était-elle particulièrement discrète, et Abelia supposait qu’elle n’avait pas été choisie pour rien pour tenir ce rôle de chaperonne. Matthew semblait si heureux de la voir… Cela lui déchirait le cœur. Je ne sais pas si je l’aime de la façon dont ma mère aime mon père, mais il représentait au moins une valeur sûre et la sécurité. Et c’était encore plus difficile maintenant qu’il était là, dans la même pièce, et qu’elle devait prononcer les mots fatidiques. Et cela le serait encore plus quand nous serons arrivés dans la cuisine et que nous nous ferons face.

« Je ne peux pas repousser, je suis désolée. »

Un peu de courage, Abelia…

« Ce n’est pas que le voyage, il ne serait pas avisé que je me présente au bal, selon ma famille… Mon père ne l’a pas acheté, c’est un héritage. Il s’agit de Grimsthorpe Castle dans le Lincolnshire. »

Le nom ne lui dirait probablement rien, les châteaux ne manquaient pas en Angleterre même si l’on vantait la beauté de celui-là et qu’elle avait hâte de le voir par elle-même, il n’était pas le seul très beau château du coin, loin de là, et certainement pas le plus connu. Mais est-ce que cela allait lui mettre la puce à l’oreille ?

Ils s’arrêtèrent enfin en cuisine et Abelia tenta alors la question fatidique, qui pour son plus grand malheur, obtint une réponse négative. Elle devrait donc lui raconter toute l’histoire et elle avait commencé par la fin. Mais d’abord, elle suivit ses indications et enleva son manteau léger puis enfila un tablier. Par où commencer ? Il allait le prendre comme une bonne nouvelle si elle commençait par l’héritage et le titre, mais en même temps, il fallait bien expliquer le contexte… Alors elle prit surtout un grand récipient et y versa la farine, l’eau et le levain et commença à pétrir. Taper dans la pâte, rien de tel pour se détendre.

« Je suis étonnée que tu ne saches pas… Mon père a hérité d’un titre, Comte de Lincoln. Une grande surprise, nous ne savions pas que nous avions le moindre lien de parenté avec ces personnes. Tu verrais la Comtesse douairière, c’est affreux, elle a enterré ses enfants bien trop jeunes, a élevé ses petits-enfants et maintenant ils ont eux aussi péri dans ce terrible incendie… »

Elle en avait plein les doigts, et de la farine plein le tablier et le bras, mais sous ses doigts agiles, la pâte prenait forme petit à petit, alors elle la prenait vers le bas et l’étirait sur le dessus, vers le centre et recommençait.

« Mais cela change beaucoup de chose, pour ma famille, pour moi. Papa a mis en vente notre maison. Et moi je dois partir pour me préparer pour la prochaine saison. Et abandonner tous mes autres engagements… »

Elle leva alors ses mains pleines de pâtes, se sentant plus qu’idiote. Et maintenant tu vas faire quoi s’il te demande de partir sur le champs ?

« Je suis désolée, Matthew… »

Abelia entre dans la demeure en compagnie d’une autre personne. C’est la première fois qu’elle a un chaperon mais j’imagine qu’il y a une raison à cela. Sans doute ses parents ont-ils peur que nous péchons avant le mariage. Mais cela n’arrivera pas, car je respecte les traditions et je ne me permettrais pas de mettre Abelia dans l’embarras.

Nous arrivons dans la cuisine tandis que je lui demande si elle souhaite se rendre au bal donné par nos Majestés en ma compagnie. Mais j’apprends alors que celle-ci ne sera pas présente car elle quitte Londres demain. Surpris, car je n’étais pas au courant de ce départ soudain, je lui demande si elle ne peut décaler pour venir avec moi mais elle répond négativement à ma demande avant de m’apporter quelques précisions.

- Pourquoi votre famille ne souhaite dont pas que vous veniez au bal ?  Votre père doit être ravi dans ce cas. Je ne savais pas que vous aviez de la famille dans ce coin.

Son père doit être ravi d’avoir hérité. Peut-être a-t-il récupéré un titre également et une fortune conséquente ? Dans ce cas, ce n’est que mieux pour moi si je me marie avec Abelia. D’ailleurs, celle-ci me parle alors d’une nouvelle et me demande si je suis au courant. Sauf qu’apparemment je n’ai pas été mis dans la confidence car je ne sais pas ce qui se passe et demande alors à Abelia de m’expliquer. Je prends alors un récipient et mélange les ingrédients tout en l’écoutant parler. Ainsi donc son père a réellement obtenu un titre. C’est une bonne nouvelle pour sa famille.

- C’est une bonne nouvelle pour votre famille. Je n’étais pas au courant, père s’est bien gardé de ne rien me dire. Sans doute souhaitait-il que vous m’annonciez la nouvelle. Et je suis navrée pour la Comtesse, cela doit être dur…

Ce tragique événement a fait de nombreux blessés et de morts qu’il a été difficile pour beaucoup d’entre nous de remonter la pente. Les commerces des rues sont restés fermés un petit moment. Je l’entends alors me dire qu’elle doit renoncée à ses engagements et avant qu’elle ne s’excuse.

- Pourquoi vous excu… Oh je comprends. Cela veut dire que nos fiançailles sont annulées c’est ça ?

Instinctivement, elle s’éloigne d’un pas, puis se concentre sur sa pâte. Abelia est une jeune femme réservée qui n’aime guère se confronter à autrui dans ce genre de situation. Si elle n’avait pas eu à venir, sans doute aurait-elle choisi la lâcheté d’une lettre. Pourtant elle est plutôt pragmatique et terre à terre, seulement elle préfère éviter la réalité lorsque celle-ci ne l’arrange pas, ou lui crée un sentiment de malaise, comme ici. Elle espère qu’il ne va pas s’énerver, ni lui en vouloir. Elle espère qu’ils resteront amis quoiqu’il arrive.

Son cœur manque un battement alors qu’il ne comprend pas immédiatement ce qu’elle insinue, même s’il ne tarde pas à réaliser la portée de ses mots.

« C’est bien cela… »

Alors elle relève son visage vers lui, lève ses mains de la pâte même si elle lui colle aux doigts et reste ainsi plantée à quelques pas de lui, les coudes contre sa taille et les paumes vers le ciel, au-dessus du récipient.

« Lady Pelham-Clinton entend faire de moi la digne héritière du comté. C’est pourquoi je dois partir et ne pas me montrer en société avant d’être prête, jusqu'au début de la prochaine saison. »

Que dire de plus ? Qu’elle laisse les autres décider pour elle ? C’est évidemment le cas. Père a bien protesté, mais elle non, pas une seule fois, pourtant elle adore Matthew. Mais là n’est pas la question, elle veut faire ce qu’il convient à son nouveau rang, et épouser un bourgeois n’en fait pas partie.

« J’ai envie de vivre la saison comme toutes les jeunes filles de mon âge… » Plonger dans ce monde comme s’il avait toujours été le sien. Même si tout est peut-être déjà joué avec cette histoire de contrat de fiançailles avec un certain Marquis. Ce que Matthew n’a pas besoin de savoir, pas immédiatement en tout cas.

Abelia replonge alors ses mains dans la pâte et se hâte de finir de la pétrir afin de récupérer ses mains, les rincer et les essuyer sur son tablier.

« Souhaitez-vous que je m'en aille ? » S’enquiert-elle enfin, sans savoir ce qu'elle a envie d'entendre.

Je ne réalise pas tout de suite les conséquences quand elle m’apprend que son père a hérité d’un titre. Mais je finis par comprendre quand elle me dit être désolée. Alors elle met fin ainsi à des fiançailles ? Cela faisait des mois maintenant que nous étions promis l’un à l’autre et plusieurs années que nous nous connaissons. Je ne m’attendais à ce qu’elle y mette fin de cette façon et j’espère que cela la touche un peu tout de même. Mais faut croire que je me trompais sur elle… J’avoue que pour ma part, cela me fait mal et je ne pensais pas m’être autant attaché à elle.

- Je vois…

Je reste observer la pâte en face de moi, tout en écoutant à moitié ce qu’elle me dit. La Lady qui a le titre j’imagine, a décidé de faire d’elle la digne héritière du comté et donc elle se doit de partir vivre là-bas afin de se préparer pour la prochaine saison. Je ne dis rien. Que répondre après tout… Je sais que le titre est importante et que je ne le possède pas. Que je ne suis pas assez bien pour être vu à ses côtés à présent. Le silence est à nouveau brisé par Abelia qui prend la parole à nouveau pour m’annoncer qu’elle souhaite vivre la prochaine saison comme les autres débutantes.

- J’ai saisis Abelia…

Je soupire tandis que je sens la colère mélangé à la tristesse m’envahir. Comment pouvait-elle agir de la sorte sans penser à moi, à nous. Suis-je réellement le seul à avoir eu de naissants sentiments ? Il faut croire que oui et cela me fait mal au cœur.
Elle finit de pétrir sa pâte rapidement avant de se laver les mains tandis que je n’ai pas quitté ma place. Puis elle me demande si je veux qu’elle s’en aille et j’acquiesce avant de répondre.

- Je préférais effectivement…

Tandis qu’elle récupère son manteau et qu’elle quitte la pièce, je balance alors le récipient au sol en criant. Puis j’essaye de la rattraper alors avant de lui demander.

- Cela ne vous fait-il donc rien de rompre nos fiançailles ? Etais-je donc le seul pour qui cela avait de l’importance, sans compter ce contrat ?

Son père avait toujours été bon avec moi et m’avait appris les bases afin que je puisse récupérer son affaire un jour que je devais compléter avec celle de ma famille.

Son visage s’était assombri, éteint sous ses yeux impuissants, alors qu’elle infligeait pourtant le coup qui le faisait souffrir.
Elle ne pensait pas que cela lui ferait si mal, à lui, ni à elle de le voir ainsi.

A quoi t’attendais-tu Abelia ?

Son cœur se mit à battre plus vite alors qu’il la renvoyait. Elle ôta son tablier maladroitement, le posa sur la table et attrapa sa cape suspendue sur le porte-manteau. Fuyant dans la douleur. Le cri de Matthew l’a fait sursauter et elle a forcément un mouvement de recul alors qu’il attrape son bras pour la retenir, pour faire en sorte qu’elle se retourne. Elle récupère bien vite son bras dans un geste réflexe qui n’est justifié que par la colère à laquelle elle fait face. Elle n’a jamais craint Matthew, mais l’émotion est vive et il l’a prise par surprise.

Face à lui, face à ses mots, elle aussi se sent en colère désormais, et le ton monte, elle s’approche, se tient bien droite.

« Vous êtes mon ami depuis si longtemps Matthew, vous mieux que quiconque devriez savoir ce que je ressens ! » Il sait à quel point elle est réservée, à quel point elle est obéissante aussi. Elle a dit oui à ces fiançailles de la même façon qu’elle y dit non aujourd’hui, elle n’a jamais vraiment décidé par elle-même, et puis ce n’était pas comme si cela avait vraiment changé grand-chose qu’ils soient fiancés, pas encore du moins. « Et de quel contrat parlez-v… » Sur le moment, elle n’a pas compris de quoi il pouvait bien parler jusqu’à ce qu’elle pose la question.

« Oh, je vois, fait-elle d’un ton plus calme, presque désabusé, ne vous en faites pas, cela ne change rien. »

Elle est vexée qu’il passe de leur relation à son héritage, de sa prétendue indifférence aux affaires, comme si, lui-même, n’avait accepté que pour ça, et non pour elle.

« Qu’attendez-vous de moi, Matthew ? Que je pleure ? Que je vous dise à quel point je suis désolée ou que je vous déclare des sentiments que je n’ai pas ? Vous êtes mon ami le plus précieux et je ne souhaite pas vous perdre, mais je dois faire ce qu’on attend de moi et me montrer digne, quoiqu’il arrive. Je fais de mon mieux mais je ne peux pas satisfaire tout le monde. »

Je sens mon cœur se serrer dans ma poitrine tandis qu’elle m’apprend qu’elle souhaite rompre nos fiançailles. Je ne m’y attendais pas je dois dire, pensant la présenter bientôt comme nous aurions dû devenir un couple dans quelques mois à présent. Mais cela ne sera pas le cas et je préfère qu’elle s’en aille, qu’elle me laisse seule avec ma douleur qui me fait mal au cœur. Je balance le récipient au sol, énervé, avant de la rattraper et de lui demander si j’étais le seul pour qui tout cela avait de l’importance, hors notre contrat. Et à entendre sa réponse il faut croire que oui et cela me brise davantage le cœur.

- Je pensais effectivement, mais faut croire que je me suis fourvoyez… Quant au contrat, c’était dans le sens qu’il ne comptait pas, que nous avons accepté de nous fiancer sans compter ce contrat. Mais je vois que vous m’imaginer ainsi et cela me fait plaisir…

Je m’apprêtais à repartir, à la laisser se préparer pour récupérer sa future demeure de comtesse quand je l’entends s’énerver derrière moi et je me retourne pour la regarder à nouveau.

- J’ai cru comprendre effectivement que vous n’avez pas votre mot à dire sur quoi que ce soit. Oui je pensais que vous étiez davantage accroché à ces fiançailles mais je me suis trompé. Partez rejoindre votre nouvelle demeure et je vous souhaite bonne chance pour la future saison.

A quoi ça sert de s’énerver davantage car je risque de dire des choses que je finirais sans doute par regretter alors autant qu’elle s’en aille et qu’elle me laisse noyer cela dans un verre d’alcool, voire la bouteille.

Peut-être a-t-elle interprété un peu vite, et jugé un peu fort. Elle se sent obligée de rectifier, elle se serait excusée même, si le ton de la conversation l’avait permis.

« Je ne vous imagine pas ainsi, Matthew, je… Je suis contente que cela n’ai rien changé de ce côté-là. »

Et c’est vrai, elle ne lui souhaite que le meilleur dans sa vie… sans elle.

Mais la situation dégénère quelque peu, et le ton monte alors qu’il lui prend le bras. Les émotions aussi, ce qui est difficile pour la jeune femme. Elle perd vite ses moyens dans ce genre de discussion, ne sait plus quoi dire ou quoi faire, elle déteste se sentir submergée et ne même pas savoir ce qui se passe. Elle qui est si calme et composée en permanence.
Quant à Matthew, elle ne l’a jamais vu comme ça et cela l’effraie autant que cela la désempare.

« Quelle importance que j’y sois accrochée ou non ! » se défend-t-elle, tout en sachant que ses mots atteindront un sourd. Il est blessé, il n’entend plus et elle peut le comprendre. « Car cela ne change rien. On m’a seulement laissé le choix sur la façon de vous le dire. »

Mais elle aussi est blessée qu’il pense compter si peu pour elle. Elle recule alors que les larmes lui montent aux yeux. Elle les retient autant que possible.

« Pour ce que cela vaut… Vous allez me manquer. »

Elle ne pourrait pas lui écrire, mais peut-être viendrait-il la voir… Il l’a promis après tout, avant que la situation ne dégénère.
Alors elle se retourne, enfile sa cape et se dirige vers la sortie, suivie de sa servante.
Une fois dehors, les larmes coulent sur ses joues et elle se met à courir sous la pluie.

Je ne pensais pas que le fait qu’elle rompt nos fiançailles me bouleverserait autant. Il faut croire que je me suis attachée à elle plus que je ne le pensais. Et cela me vexe légèrement qu’elle imagine que je ne suis avec qu’elle que pour ce contrat et non parce que j’ai envie de l’avoir comme épouse. Certes, ce fût le cas au début, mais j’ai finis par apprécier sa compagnie et cela me convenait qu’elle devienne mon épouse. Mais sans réellement savoir pourquoi, je m’emporte auprès d’elle, déçue qu’elle ne soit pas davantage attachée à cela. Certes, je sais qu’elle n’a pas réellement son mot à dire sur cela, comme la plupart des femmes de notre société, mais je me suis imaginé qu’elle se battrait un peu pour garder nos épousailles, pensant qu’elle appréciait ma compagnie aussi. Peut-être que je me suis fourvoyé au final.

Elle m’explique alors qu’on lui a laissé seulement le choix de m’annoncer les choses. Ils n’ont pas été très sympathiques envers elle car ils lui ont laissé la sale tâche de m’annoncer la nouvelle.

Je préfère me taire, ne rien dire, attendre qu’elle s’en aille. Je lui tourne le dos et ses dernières paroles me serrent davantage le cœur. Ainsi donc je vais lui manquer. Mais nous reverrons-nous ? Arriverais-je à la revoir ?

- Vous aussi vous allez me…

En me retournant pour lui répondre, je remarque alors qu’elle n’est plus derrière moi et je termine ma phrase dans un murmure.

- Manquer…

Je me laisse alors glisser sur le sol, ma tête entre mes mains, me demandant ce qui vient de se passer et comment vont se dérouler les choses à présent. Je sens mon cœur se déchiré lentement… Avais-je des sentiments pour cette jeune femme ? Sans doute l’appréciais-je plus que je ne le pensais… J’irais noyer mon chagrin autour d’un verre dans la taverne du coin.