Ce qui me touche
C'est toi et le bruit de tes pas
Ce qui fait mal
C'est toi quand tu es loin de moi
Ce qui me brûle
C'est ta peau quand d'autres en rêvent trop
Ce qui fait peur
C'est tes envies quand je n'en fais plus partie.
Elle ne l'avait pas vu depuis ce qui lui semblait être une éternité et son corps en tremblait comme s'il peinait à contenir cet apport de Emil dont il avait tant manqué ces dernières semaines. C'était comme remonter des fin fonds d'un océan abyssal après une trop longue apnée. L'air était aussi salutaire que douloureux. Aussi vivifiant que brûlant. Arya ressentait la proximité du Duc à même sa peau qui se couvrait d'un frisson. A croire que même son derme se tendait vers lui et cherchait à les rapprocher.
La fille du Comte de Cambridge était suspendue au regard de celui qu'elle surnommait son prince. Elle était pleine d'espoir et désespoir mêlés... Voyait-il le flot des tourments qui mettaient son être à la dérive dans une mer de larmes ? Elle avait tant pleuré à la nuit tombée dans l'intimité de sa chambre et le secret de son oreiller que parfois elle avait l'impression que les sillons salés marquaient encore ses joues. Après Emil, Arya ne s'était pas sentie seule. Elle s'était sentie sans lui. Il était partout depuis qu'il n'était plus là. Penser à lui, elle y revenait toujours. Parfois c'était une libération. Parfois une sentence. Emil la délivrait de tant de choses en l'emprisonnant... Un instant triste ? Il l'en sortait par espérance ; elle le retrouverait un jour. Un instant joyeux ? Il l'en sortait par insuffisance : si seulement il était là...
Elle l'avait face à elle. Et elle était bouleversée par cette distance qu'il mettait entre eux malgré leur proximité. Elle lui faisait si mal qu'elle en aurait reculer mais elle ne pouvait s'y résoudre. Même si il la blessait, même si il ne lui donnait pas les réponses qu'elle espérait, elle voulait tout ressentir de lui et de cet instant. Elle voulait s'en gorger... Elle n'avait que faire que ce soit douloureux. Cette douleur, elle l'aimait car elle lui prouvait qu'il était là. Avec elle. Et c'était tout ce qu'elle désirait...
Mais lorsqu'il l'appela Miss Harrington, ses entrailles se tordirent si violemment qu'elle fut incapable de s'empêcher de réagir. Lors de ses révélations, elle avait été si prise de court et choquée qu'elle avait été incapable de réagir autrement qu'en dressant entre eux l'étiquette. Ce soir, sous le sourire de la lune pleine qui caressait la cime du saule pleureur, elle ne put que le reprendre. Son ton était plus vif et sec qu'il aurait dû l'être mais les mots étaient sortis avec cette spontanéité qui la caractérisait tant. Elle détestait qu'il la vouvoie et l'appelle Miss Harrington !
- Vous avez raison, peut-être devrais-je dire Mademoiselle Conisburgh... Même si cela ferait hurler votre belle mère. Votre père m'a mus au courant. Le secret devenait trop lourd pour lui et le mien, trop lourd pour moi. Arya déglutit et tenta tant bien que mal de dompter les battements de son cœur affolé dans sa poitrine. Son père lui avait révélé il y a quelques jours que Emil avait compris qui elle était réellement et à ce jour elle ne savait toujours pas quoi faire de cette information... Elle s'était demandé si il lui en avait voulu de ne pas lui avoir dit la vérité non plus. En particulier après que lui, lui ait tout révélé. Emil s'était mis en lumière quand elle était restée dans l'ombre de son identité...
- Je ne pouvais pas te le dire... Ce n'était pas mon secret...Il appartenait à son père. A sa famille... Depuis près de dix ans elle vivait dans une telle résilience quant à son illégitimité que de toute façon, elle ne se considérait pas autrement. Pour la Société, son existence pouvait s'apparenter à un scandale. Mais pour elle, sa vie était juste une chance inouïe. Elle se moquait d'être légitime ou non.
Du moins jusqu'à Emil...
Mais Arya s'interdisait de songer à de telles choses. Elle refusait de se demander ce qu'il serait advenu d'eux, si elle avait été reconnue par son père. Elle aimait le Comte et à aucun moment elle ne voulait laisser la moindre rancœur venir entacher cela. Jamais. Il l'avait accepté, recueilli et éduqué. En plus de tout ça, il lui vouait une affection sans borne. Philéas Conisbrugh lui avait tout donné au prix seul qu'elle ne porterait pas son nom.
Elle ne s'était juste jamais imaginé qu'un jour elle pourrait désirer autre chose qu'être à ses côtés. Qu'un jour, un autre homme viendrait ravir sa place dans son cœur...
- TU N'ES PAS RIEN ARYA ! protesta-t-il lorsqu'elle reformula sa question.
La jeune femme entrouvrit ses lèvres charnues, surprise par la réaction d'Emil qui quittait enfin le bloc de pierre dont il semblait être fait jusqu'à présent. La force et presque la rage... passionnelle...? de ses mots la touchèrent si profondément qu'elle sentit ses yeux s'embuer.
Emil...
Comme toujours, il chamboulait son monde. Lui donnait un autre sens. Tout ce qu'il lui disait, c'était l'opposé de tout ce qu'on lui avait enseigné : les Petits de ce monde répondaient aux Grands... C'était ainsi depuis la nuit des temps... Mais une fois de plus il lui montrait un autre horizon. Un qui n'existait qu'auprès de lui...
Seigneur comme elle voulait le toucher... Comme elle en avait besoin ! Arya accrocha ses doigts à sa robe afin de se contraindre à ne pas aller se lover contre lui. Elle revivait cet instant où il l'avait attiré à lui et serré comme si elle était la chose la plus précieuse au monde à ses yeux lorsqu'elle était venue le trouver après son enlèvement... Leur dernière danse lorsqu'elle avait voulu demeurer un peu plus longtemps dans l'illusion qu'il était Arthur, son garçon d'écurie. Son corps n'avait rien oublié et se languissait de retrouver sa chaleur. La force de ses bras. Le réconfort du son de son palpitant à son oreille. La douceur brûlante de son souffle sur sa peau...
- Dis le moi quand même...Arya regarda Emil lui tourner le dos et fit un pas vers lui par instinct. La lueur de la lune filtrait subtilement à travers les feuilles et peignaient d'irréels motifs à même le sol et leurs silhouettes. C'était comme s'ils s'étaient soudain trouvés dans un autre monde. Un autre espace-temps nimbé de magie. Au loin, les lueurs du palais scintillaient telles des lucioles à force des ombres virevoltante près des fenêtres. Arya s'en serait émerveillée, si l'instant n'avait pas été si important.
Elle s'avança à côté d'Emil mais plutôt que de suivre la direction de son regard, c'est sur lui qu'elle posa le sien. Sa main effleuré son bras, renouant avec la facilité avec laquelle ils pouvaient être ensemble dans le Norfolk.
Après avoir découvert qu'il était Duc, Arya avait comme souvent trouvé refuge dans la bibliothèque et passé plusieurs heures à étudier l'histoire de sa famille. Elle avait découvert à quel point son duché était important, pour ne pas dire puissant. Emil appartenait à l'Angleterre de par son rang auprès de la Couronne... Et elle avait également appris qu'il n'était initialement pas destiné à hériter...
Arya avait cru mourir de chagrin lorsqu'elle avait perdu sa mère. Lui avait perdu en plus de cela un père et un frère. Et s'était vu soudain charger d'un poids sur ses épaules si lourd qu'il ne devrait jamais être porté par un seul homme... En particulier un homme en deuil et à charge de l'avenir de sa cadette...
Elle sourit doucement, tant pour lui que pour elle. Bien sûr qu'elle était revenue... Encore et encore... Il ne se rendait pas compte que tout ce qu'il lui contait, elle l'avait ressenti elle-même. Lui aussi lui avait offert cet air nouveau. Cette échappatoire. Il avait ouvert à elle un tout autre monde. Un qui n'avait de sens qu'à travers ses yeux à lui.
Lui aussi, l'avait traité comme personne d'autre avant. Il l'avait vue. Réellement vue. Si lui avait sauté à pieds joints pour retrouver une sensation longtemps perdue, elle avait sauté à pieds joints pour courir après cette sensation inconnue. Il l'avait dit lui-même. D'une certaine façon, elle appartenait un peu à cet univers qui était le sien. Et en même temps, pas vraiment. Arya avait toujours eu un peu de mal à se trouver au milieu de cette existence auprès de son père. Sa sœur et la belle-mère la traitaient de façon inférieure car elle n'était pas assez noble. Les domestiques n'osaient trop interagir avec elle car elle l'était trop à leurs yeux.
Emil lui avait donné cette place qu'elle n'avait jamais su trouver. Elle lui appartenait à lui. Avait-il sincèrement cru qu'elle aurait été capable de l'oublier ?
Le Duc serra ses poings et Arya baissa son visage, y posant son attention. Elle enveloppa ses doigts serrés des siens avec une douceur tendre et prit place devant lui. Ses paupières semblèrent faites de papier de verre lorsqu'elle les souleva pour le regarder.
Il l'abreuvait de tous ces mots et elle avait envie d'en pleurer de bonheur. Pouvait-on avoir de la joie dans la douleur ? Pouvait-on aimer avoir un fléau dans la peau ?
- C'est drôle... dit-elle dans un petit rire ponctué d'une larme.
Toutes ces choses que tu me dis, ces raisons que tu as qui font que tu nous tiens éloignés depuis des semaines, me font juste t'aimer encore plus...Comment pouvaient-ils s'aimer et se faire autant de mal ? La perle saline qui roula sur le visage de Emil, cet homme si grand, si fort, si solide à ses yeux lui brisa le cœur. Arya combla le peu d'espace qui demeurait entre eux et essuya sa joue de son pouce. Elle garda sa main en coupe contre lui et posa l'autre sur son uniforme richement ornementé malgré sa simplicité. Elle détailla et caressa avec précaution son écharpe ducale, ses cordons d'or et médailles.
- Je sais pas comment j'ai pu manquer tout ça sous ta cape quand je t'ai revu.Elle tentait de plaisanter et pourtant, elle était malgré tout, tout à fait sérieuse. A y repenser, elle avait été tellement hypnotisée par lui et tout à son excitation de le retrouver qu'elle n'avait prêté attention à rien d'autre. Elle n'avait eu d'yeux que pour lui.
Avait-il sincèrement cru qu'il pourrait la perdre...?
- Emil... Depuis que je t'ai rencontré je passe mes nuits et mes jours comme si il n'y avait aucune place au monde pour moi loin de toi... Je suis revenue jour après jour te voir car j'étais incapable de me passer de toi... De tout ce que tu me donnais et me montrais... Tu te compares à un alcoolique incapable de renoncer à sa boisson mais sans toi j'ai la sensation d'être en sevrage d'une chose à laquelle je ne veux pas renoncer et de me battre tous les jours contre ce qui prend de plus en plus de place en moi...Elle l'avait confié au père Howley lorsqu'il lui avait demandé de lui parler de l'homme qu'elle avait dans le cœur. Emil était une maladie et son remède à la fois. Et elle s'abîmait dans ce mal délicieux... Cette fièvre voluptueuse.
- J'ai l'impression que ma vie a véritablement démarré le jour où je t'ai rencontré... Je suis arrivée chez mon père quand j'avais treize ans et je n'avais jamais quitté Longstowe Hall depuis... avec tout ce que cela sous entendait...
Et toi tu étais là, à me sourire, me tendre ta main pour m'emmener à cheval avec Platon voir la mer... A me regarder comme si tu voulais engloutir le temps avant qu'il s'enfuît... Elle en avait appris plus sur elle en quelques semaines à ses côtés qu'en presque toute une vie seule sans lui.
- Ma mère me disait toujours : l'amour est un don, jamais une question. Regarde-moi... Je n'ai rien à te pardonner car il faudrait alors que je te demande pardon à mon tour. Et je refuse. Je ne serai jamais désolée de notre rencontre. Je ne serai jamais désolée d'être ici avec toi. Je ne serai jamais désolée d'être tombée amoureuse de toi...Elle n'avait pas la moindre idée de ce que l'avenir leur réservait mais elle pouvait vivre dans un monde où elle savait qu'il l'aimait autant qu'elle l'aimait. Là tout de suite, c'était la seule chose qui lui importait... Emil l'aimait.
- Je te donne la moindre once de moi... Elle était beaucoup trop proche de lui et pourtant elle était exactement où elle désirait être... Ses grands yeux clairs levés vers lui, elle cherchait sa réponse dans ses yeux.
Et peut-être aussi sur ses lèvres...
Ce qui me touche
C'est toi et le son de ta voix
Ce qui fait mal
C'est tes bras s'ils s'ouvrent à d'autres que moi
Ce qui me tue
C'est ton cœur quand ses battements me leurrent
Ce qui fait peur
C'est ton amour s'il devait mourir un jour