Faire son entrée dans le monde, ce n’est pas rien. Encore moins quand on est la petite sœur d’un Duc, et encore plus quand c’est MA petite sœur.
Diana rayonne comme aucune autre jeune femme ce soir. Son sourire illumine comme un petit soleil, irradiant de bonheur sur son passage, alors que beaucoup de ses messieurs s’attardent du regard sur elle. Je suis persuadé d’en avoir aperçu quelques uns tomber en pâmoison face à son minois angélique. Son bras se serre autour du mien, je peux presque la sentir trembler. Ma main tapote la sienne avec douceur tandis que je lui murmure :
-Est- ce moi, ou tu es nerveuse…?
Sa voix tremblote, monte dans les aiguës à chaque fin de phrase :
-Tu as vu tous ce monde ? Et si je ne me montrais pas à la hauteur ? Et si je te faisait honte ?
-Ma très chère sœur, je pense que tu as un sens de l’humour qui m’échappe…
-Ça n’est pas de l’humour…
-Alors tu ne vois pas clair, Diana. Tu les surpasses toutes, et de loin.
Je lui glisse un regard, elle rougit, se détend. Tandis que je lui relâche le bras, plusieurs hommes s’approchent, lui réserve une danse. Je les étudies, j’en connais quelques uns. Je mettrais mon veto sur beaucoup mais pour le moment, Diana mérite de s’amuser. Bientôt, l’oiseau prend son envol, et c’est avec un sourire non feint que je la laisse s’éloigner aux bras d’un autre. Il faudra que je me renseigne sur ce Comte…
-Votre Grâce…
Je fronce le nez, me retourne. Une mère et sa fille me regardent tel deux cockers face à un biscuit, en battant des cils et leur éventail sur le haut de leur poitrine.
-Votre Grâce, quel plaisir de vous voir au bal de ce soir !
-Madame…
-Permettez moi de vous présenter ma fille aînée, Melle Katherine Crimée.
Je la salue poliment, la demoiselle se cambre pour me répondre avant de reprendre son battement de cil, m’ épiant comme un crapaud mort d’amour derrière son éventail tandis que sa mère me dépeint les qualités de sa fille comme on présente les caractéristiques d’un chien.
Je finis par réussir à me sauver de cette impasse en m’excusant, file 100 mètres plus loin, mais c’était sans compter sur un nouveau duo mère-fille qui se jette sur moi à grand renfort de « Votre Grâce » et de tous le reste…
Il faut croire qu’à chaque fois que j’esquive une paire, une autre me tombe dessus. Il devient difficile d’éviter ses femmes qui semblent s’être donner le mot pour m’assaillir de toute part. Malgré tout, je réussi à garder un œil sur Diana qui danse et tourne avec un grand sourire. Au moins, elle, elle s’amuse.
Tandis que je me serre un verre de punch, je vois du coin de l’œil Melle Crimée et sa chère et dérangeante génitrice revenir à l’assaut. Si j’entends encore une seule fois « Votre Grâce », je ne répond plus de rien.
Je tente de m’éloigner, réussi, bouscule quelqu’un et finis par tacher ma veste neuve. Je regarde déconfit l’étendue des dégâts. J’espère que mon valet de chambre pourra y faire quelque chose… Je fronce les sourcils et relève les yeux sur la personne. Des boucles brunes, une bouche rose et deux grands yeux verts sur une peau pâle me scrutent. Je suis tellement surpris que ce soit une jeune femme que ma colère retombe. Je ne sais si elle est choquée ou outrée, je décide donc de combler ce silence gênant:
-Je suis navrée, mademoiselle, je ne vous avez pas vue… Vous n’avez rien ?