Voilà à présent plusieurs mois que nous étions, mes 2 frères et moi-même, arrivés à Londres. Nous avions tous les 3 hérités d’un relais à chevaux ainsi que de son auberge dans un carrefour des plus animés, proche de l’ancienne maison Leicester, à présent détruite. Nous accueillions désormais jours et nuits les cavaliers en quête de repos, les diligences épuisées à la recherche de chevaux frais, nous assurions également la distribution de courrier, la restauration des visiteurs ainsi que l’entretien des spacieuses écuries.
Depuis notre arrivée, nous n’avions pas pris un seul jour de repos tant le travail était dense. Les lieux avaient été laissés dans un piteux état et de longues heures de travaux et de ménages avaient été nécessaires pour faire de cet endroit, un point de halte stratégique et accueillant. Nous avions besoin d’argent plus que jamais, il était donc indispensable que la fréquentation augmente rapidement, et, sur ce point, les choses semblaient aller dans le bon sens. Les chambres étaient presque  toujours toutes occupées et tous les employés étaient, eux aussi, débordés de travail.

Pour la première fois depuis notre arrivée sur Londres, nous avions pris la décision commune de fermer le relais une petite  journée. Notre personnel était à bout de force, nos chevaux fatigués et nécessitant des soins pour certains et mes 2 frères avaient décidés de prendre la route pour rendre visite à notre Mère ainsi qu’à notre dernière sœur, à quelques heures à cheval de Londres. Pour ma part, je n’avais pas souhaité prendre part au voyage, car je jubilais d’avance de pouvoir profiter d’une journée seule, loin de l’agitation des dernières semaines et l'envie d'une balade à cheval ne quittait plus mon esprit depuis plusieurs jours déjà.


C’était donc très enthousiaste que je sautais du lit en direction de la grande cour qui desservait les écuries, la grange, les stabulations…
Un soleil radieux illuminait l’endroit, et même si nous n’étions encore qu’au milieu de la matinée, il faisait déjà très bon. Je jetais un bref coup d’oeil autour de moi, seul un palefrenier était à l'œuvre pour m’assister, il n’était pas du genre bavard et n’allait donc certainement pas entacher ce moment si doux. Je m’avançais donc dans la grande allée où se reposaient nos chevaux. Un hennissement à l’unisson résonna lorsque je fis mon apparition, loin d’être un généreux élan d’amour, c’était surtout un appel du ventre pour me rappeler à l’ordre. Oui, j'étais bel et bien en retard sur la distribution des rations.


Bonjour mon beau, que dirais-tu d'aller te promener aujourd'hui ? Dis-je en posant la paume de ma main sur le chanfrein de mon fidèle compagnon.


Un magnifique cheval noir ébène qui m’avait été offert par mon père quelques années avant sa mort. Je l’avais dressé et éduqué seule et il était incontestablement l’un des meilleurs chevaux de cette écurie. En toute objectivité, évidemment. Je me perdais dans mes rêveries en le contemplant inlassablement lorsqu’un bruit étrange parvint à mes oreilles.
Des bruits de pas et une voix masculine qui m’était inconnue. Impossible ! L’établissement était vide et j’avais salué le départ de notre dernier employé quelques minutes auparavant. Je n’étais pourtant plus seule…


Bien que notre localisation soit idéalement situé pour notre activité, le quartier était fréquenté par toutes les catégories sociales et je m’imaginais déjà le pire. Qui était entré ? Que voulait-il ? Que devais-je faire ? Mon coeur menaçait de sortir de ma poitrine alors même que les pas se rapprochaient dans ma direction…
L'absence de mes 2 frères ne faisait qu'amplifier mon angoisse.


Courageuse mais pas vraiment téméraire, je n’avais guère d'autre choix que d’aller voir ce qu’il se passait dans l’allée suivante. J’empoignais fermement le manche d’une fourche à foin, par sécurité, prête à dégainer si besoin. Les bruits avaient cessé de me guider, je n’avais donc plus aucune idée de là où me rendre et avançais donc à petits pas, l’air apeuré, sans faire de bruit.

Je continuais d’avancer prudemment, à petits pas, lorsqu’un homme apparut enfin dans mon champ de vision. À mon arrivée, il levait les mains au ciel, clamant ainsi son innocence. Mais pourquoi faisait-il donc cela ? Rapidement, je me souvenais de la fourche que je tenais entre mes mains, évidemment, cela n’était pas très accueillant ni rassurant. Je posais en vitesse cette dernière sur le coin d’un box, redressais une mèche de cheveux qui s’était fait la belle sur le côté de mon visage et observais méticuleusement l’individu sans aucune délicatesse. De haut, en bas.

Je n’avais jamais vu cet homme auparavant, je m’en serais souvenu. Il était propre sur lui, bien habillé et poli. Des qualités qui le sortaient immédiatement de la case “voyous dangereux” dans laquelle je l’avais classé lorsque je m’étais sentie menacée quelques minutes plus tôt. Tout allait mieux, enfin, à première vue.

~ Bonjour Monsieur. Je vous prie de bien vouloir excuser cet accueil… peu conventionnel. Je n’ai pas pour habitude de recevoir nos hôtes avec… une fourche. Je.. heu… vous.. m’avez fait peur.

Mes joues se mirent à rougir de honte et je devais détourner la conversation.

~ Le relais est effectivement fermé ce jour, exceptionnellement bien-sur ! Mais je reste à votre disposition. Comment puis-je vous aider ? Je ne vois pas votre attelage, ni même votre cheval.

Serait-ce là une simple visite ? Une balade ? Qui donc pourrait avoir envie de venir se promener dans notre établissement. Ce n’étaient pas les écuries qui manquaient dans le coin, difficile de croire que ce petit tour des lieux n’avait pas un intérêt caché. Peu importait, je me devais de recevoir tous les visiteurs de la meilleure manière possible, il en était de notre réputation et… cela n’avait pas commencé avec la bonne méthode de toute évidence.


~ Permettez-moi de me présenter. Je suis Aélia Berkelay, l’une des propriétaires de ce lieu. Peut-être souhaitez-vous voir l’un de mes frères ? Ils sont malheureusement absents ce jour. Puis-je leur signifier votre passage, à leur retour ?

Cette hypothèse me semblait être la plus probable. Mes 2 frères, bien que désormais adultes, étaient de véritables fêtards. Ils aimaient sortir, boire du whisky et il n’était pas rare que leurs nouvelles connaissances viennent au relais pour discuter des exploits de la veille. Je n’y accordais que peu d’importance, du moment que le travail était fait.

Quelques instants avant nos premiers échanges, l’homme s’était approché de l’un de nos chevaux. Il avait pris soin d’adresser une délicate caresse à celui-ci et l’animal en redemandait. Son nez cherchait le contact, l’encolure tendue pour atteindre sa cible…à quelques centimètres de ses beaux habits si propres, je redoutais la catastrophe !

~ Vous aimez les chevaux ? Je crois que vous vous êtes fait un ami. Je souhaiterais vous mettre en garde, ce cheval est un vrai pot de colle et je ne voudrais pas qu’il arrive malheur à votre chemise, monsieur. Dis-je, avec bienveillance.

@Neal Healey

Le mystérieux inconnu qui avait fait irruption était bien différent de nos visiteurs habituels. Nous avions pour habitude de recevoir un grand nombre de cochers en charge des diligences de la ville. Je me trouvais fort gênée de cette présentation trop peu conventionnelle pour un homme comme celui-ci et je devais rattraper mes mauvaises manières.

~ Enchantée de vous rencontrer Sir Hawley. Vous êtes le bienvenu au relais. Dis-je avec un sourire timide, tentant d’être quelque peu plus gracieuse à présent.

Par chance, j’avais fait l’effort de m'apprêter ce matin-là. Rien de très tape à l'œil, car nos moyens ne nous le permettaient pas encore, mais j’étais vêtue d’une robe bleue, propre et en très bon état. Cela, suffirait-il à rattraper les frasques des minutes précédentes ? Sans doute pas.

Sir Hawley m’avouait ne plus monter à cheval tout en désignant sa jambe, une jambe visiblement bien amochée. Je tentais de faire abstraction de cette information même si ma curiosité ne pourrait pas se retenir bien longtemps, de glaner quelques informations à ce propos.

N.H - - C’est assez rare de voir une demoiselle gérer un relais. Les tâches ne sont pas trop compliquées ?

Je souriais.

~ Je vous mentirais si je vous affirmais le contraire, Sir. C’est en effet un travail très prenant. Mais cela est vite oublié tant, cet endroit m’est agréable. Dis-je en contemplant les merveilleuses montures qui nous entouraient.

Bien que cette journée était destinée à un peu de repos, je me réjouissais de voir de nouveaux visages en ces lieux. Notre arrivée avait visiblement fait parler d’elle et cela était excellent pour nos affaires. Attirer de nouveaux visiteurs était un bon signe.

~ Puis-je vous faire visiter les lieux ? Ou peut-être souhaiteriez-vous boire un thé et reposer votre jambe quelques instants ? Nous possédons également une auberge de l’autre côté des écuries. Vous êtes mon invité, je serais ravie de me faire pardonner d’avoir eu l’idée de me présenter à vous, fourche en main.

Un petit rire m’échappait. Cela n’avait rien de drôle en vérité, mais il fallait avouer que la situation était cocasse avec un peu de recul.

Le soleil était presque au Zénith et l’air était parfois étouffant dans les écuries, une petite pause sur la terrasse extérieure ombragée pourrait être des plus appréciables avec ce temps des plus doux. Allait-il accepter ?

@Neal Healey

La présentation de Mr Healey était irréprochable et il était évident que le jeune homme n’était pas de la même classe sociale que la mienne. Je comptais donc tout mettre en oeuvre pour rendre sa visite fort sympathique, peut-être pourrait-il nous faire bonne presse parmi ses connaissances.

Je fus donc ravie qu’il accepte de faire un petit tour des lieux en ma compagnie et je lui adressais un large sourire pour manifester mon enthousiasme.

~ Me voilà ravie ! Allons-y, nous allons faire le tour de l’écurie avant de prendre une petite collation sur la terrasse. Je vous laisse me suivre Mr Healey ? Dis-je, enjouée.

Sans perdre une seconde, je commençais à ouvrir la marche à petit pas, laissant ainsi mon invité découvrir les grandes écuries qui nous entouraient. Nous prenions grand soin à entretenir les lieux, balayer les allées, chasser les toiles et entretenir les boxes chaque matin. J’avais donc l’espoir de faire bonne impression.

~ Je dois vous avouer que les débuts ont été bien difficiles. L’endroit était visiblement laissé à l’abandon et la clientèle était rare, mais nous sommes heureux de constater une forte fréquentation ces dernières semaines. Tout à repris vie, et, dès la réouverture demain, nos chambres sont déjà réservées. C'est plutôt bon signe, vous ne pensez pas ? Je connais que très mal Londres, j'imagine que la Saison en cours est une aubaine pour les affaires de chacun. Je redoute la fin de celle-ci, tout sera sans doute plus difficile.   Dis-je, avec beaucoup de fierté, une fierté proportionnelle à tout l'investissement mis dans ce projet.

Tout en continuant de me balader dans l’allée, mon esprit se torturait lui-même, piqué par la curiosité d’en apprendre plus sur cet inconnu. Même s’il était sans doute peu convenable d’échanger de la sorte, seule avec un homme, je n’avais de compte à rendre à personne.

~ Mr Healey, puis-je me permettre de vous demander ce que vous faites dans la vie ? Vous êtes originaire de Londres ?  Evidemment, vous n’êtes pas obligé de me donner quelconque informations.

Ce n’était pas une entrée en matière très adroite. Ma voix s’était faite hésitante et gênée, mais, j’avais hâte d’en découvrir plus.

@Neal Healey

A ma grande surprise, Mr Healey ne s’offusquait pas de mes questions, bien que celles-ci soient assez personnelles. Le calme et la solitude qui régnait au relai ce jour rendait le lieu apaisant, propice aux échanges sereins, sans la crainte d’être vu.

Banquier ? Voilà un choix audacieux ! Un métier sans doute passionnant. Vos études dans ce domaine vous plaisent-elles ?

Si Mère avait toujours accordé beaucoup d’importance à notre éducation, et si j'étais une très bonne lectrice, une joueuse de piano et possédait un niveau de connaissance très convenable, mon affinité avec les chiffres laissait à désirer… Les mathématiques étaient pour moi incompréhensibles et source de maux de tête. En ce point, je ne pouvais qu’être admirative de telles études.

Nous venons des campagnes voisines. Quelques heures à cheval suffisent. Mes parents étaient agriculteurs mais aujourd’hui, depuis le décès de mon cher Père, tout repose sur nous. Nous n'avons pas le droit à l'erreur. Ma Mère est usée par le travail de sa vie et elle se charge encore d'élever notre plus jeune soeur. Nous faisons notre possible ici pour leur rendre la vie plus douce, là-bas.

Je continuais de marcher à quelques mètres du jeune homme, tout en marquant parfois quelques ralentissement pour lui permettre de se remettre à ma hauteur. Sa jambe semblait être handicapante. Nous étions à présent au bout de l’allée, je fis coulisser une immense porte de bois, ouvrant l’accès à la cour privée, non visible depuis l’extérieur du bâtiment.

Le soleil rayonnait, les fleurs qui jalonnaient les bordures de la façade étaient splendides. Cette petite cour assurait le lien entre les écuries et l’auberge, située de l’autre côté. Par chance, il y avait une légère brise qui rendait la température parfaite.

Dois-je comprendre que vous participez à la Saison, cette année ? Est-ce aussi passionnant que l’on nous le laisse entendre ? Il semblerait que les meilleurs orchestres se battent pour venir jouer lors de vos évènements… Cela à l’air si plaisant.

Comme de nombreuses petites filles sans origines, je me prenais à rêver d’une vie de princesse. Les employés qui avaient la chance de participer à ces somptueux évènements ne manquaient pas de compliments à leur retour. Naïvement, je m’y projetais par la pensée… foulant la piste de danse dans une robe divine qui aurait été créée spécialement pour moi…