1807, cambridgeshire
Ce jour d'automne était clair et la forêt toute proche, non encore dépouillée de ses feuilles, déroulait sur le ciel ses frondaisons rouillées. En passant devant la grille du Manoir, Arya se pencha pour essayer d'apercevoir au bout de l'allée de marronniers, la vision élégante du ravissant édifice. Après tout il ne lui était jamais donné de passer par cette entrée là qui était réservée à un autre style de visite qu'une jeune lavandière au panier chargé de linge fraîchement lavé...
Arya posa la lourde panière parterre et écarta une mèche brune et bouclée qui s'était échappé du fichu qui tortillait savamment ses cheveux afin de les maintenir hors de ses yeux. En théorie... C'était qu'elle s'était fort acharnée à sa tache au lavoir la veille tant elle avait peinée à récupérer une tache sur une des chemises de la maîtresse de maison...
Ses bras quelque peu reposés, elle récupéra sa charge et fit le tour du petit parc du manoir afin de rejoindre un portillon de bois réservé aux allés et venues de la domesticité. Cette façade là de la maison, elle la connaissait par cœur à force d'y venir.
La demeure de la Dame qui vivait ici n'avait rien à avoir avec le grandiose de Longstow Hall où vivait son père, mais elle était malgré tout plutôt charmante et avec la lumière montante du soleil et la brume de la rosée matinale qui survolait les brins d'herbes, elle semblait dormir dans le mystère de son parc.
Arya grimpa les quelques marches qui menaient à la porte et frappa à la porte avant de détendre ses articulations endolories. Cette maison là n'était pas tout près et ce matin sa mère était trop épuisée pour l'accompagner. Arya avait préféré la laisser dormir et sortir discrètement afin de livrer seule leur travail du jour, ce qui devenait de plus en plus fréquent...
- Arya, la salua poliment Sam. Voici pour toi.
La jeune fille tendit sa main afin de prendre l'argent de son labeur qu'elle glissa dans son tablier et sourit au domestique afin de le remercier. Elle allait se baisser afin de lui donner la panière en osier pleine du linge de la maisonnée d'avantage qu'à son habitude, puisque Madame visiblement recevait, lorsqu'un bruit sourd et empressé raisonna depuis ce qu'elle devinait être un escalier en bois.
Lorsqu'elle vit apparaitre le jeune maître dans l'embrasure de la porte, elle pinça ses lèvres mais s'efforça de ne pas ciller. Il était bien plus grand qu'elle mais elle ne voulait pas le laisser s'imaginer qu'il l'impressionnait.
- Mademoiselle Arya puis-je vous demander quelle est cette plaisanterie stupide ?L'adolescente baissa ses grands yeux bleus sur les vêtements qu'il tenait dans ses bras et peina à retenir un petit gloussement amusé qui se devina à la commissure de ses lèvres qui se retroussèrent malgré elle.
Ce que c'était que cette plaisanterie ? Et bien exactement ce qu'il méritait ! Ca lui apprendrait à être aussi condescendant et prétentieux ! A regarder de haut et dédaigner sa mère. Elle n'oubliait pas l'attitude qu'il avait arboré face à Daphné Harrington. Si ça avait été elle sa cible elle serait passée outre. Mais elle ne supportait pas qu'il s'en soit pris à sa maman. Elle était tout pour elle. Et elle était la meilleure personne au monde. Elle travaillait si dur et se démenait tant pour elle...
Alors lorsque Adam s'était permis de mal lui parler, la rabrouant si grossièrement en prétendant qu'elle avait mal raccommodé un des ses vêtements, Arya avait voulu s'interposer et avait même osé un pas vers lui mais Daphné l'avait arrêtée d'une mais discrète et prit la critique en promettant d'arranger cela pour la prochaine livraison de linge propre.
Arya lui avait demandé sur le chemin du retour pourquoi elle ne s'était pas défendue. Elle était en droit de le faire après tout ! Car elle avait très bien travaillé, quoique ce paon enfariné prétendait ! Sa mère lui avait expliqué que c'étaient ces personnes qui leur permettaient de vivre et que parfois il fallait donc savoir se taire et prendre la faute afin de ne pas perdre un client. Elle avait même défendu le bourgeois et ses semblables, disant à sa fille qu'ils ne pouvaient parfois pas s'empêcher d'être ainsi. Ils grandissaient habitués à être servis ce qui pouvait les rendre quelque peu rigides.
Du haut de ses 12 ans, Arya n'avait pas trouvé ça juste ! Habitués à être servies ou non ça n'expliquait pas qu'on puisse se montrer aussi odieux ! Elle entendait encore son rire narquois alors qu'il s'esclaffait avec un autre garçon de son âge qui avait cherché à toucher ses cheveux bouclés. Arya s'était dégagée avec un regard flamboyant de cette main impromptue et rapprochée de sa mère.
Une fois rentrée à la petite maison où elle vivait avec Daphné, la demoiselle avait peiné à décolérer. La frustration avait éteint son cœur durant de longues heures, jusqu'à ce que finalement elle ne prenne l'habit d'Adam, une aiguille et du fil !
Elle ne pouvait pas lui crier dessus ou le confronter ouvertement quant à ce qu'elle lui reprochait, mais elle avait d'autres moyens de lui faire payer son mauvais comportement. Elle avait cousu l'intérieur de toutes ses poches !
Elle ne s'était cela dit pas attendue à ce qu'il découvre la plaisanterie si vite, ni à ce qu'il la confronte à ce sujet...
- Je ne vois pas de quoi vous voulez parlez, Sir... répondit-elle de son air le plus innocent.
Bonne journée à vous !Elle inclina son visage juvénile afin de le saluer sans toutefois baisser son regard face à lui puis tourna les talons prestement. Mieux valait qu'elle file avant qu'il découvre que dans la panière du jour, elle avait bien réparé ses ourlets mais elle y avait inséré également quelques petits cailloux...