Orpheline
Elle ne peut même pas dire que ça s'est passé une nuit d'hiver, comme c'est si poétiquement écrit dans les livres parfois. C'était au printemps et il ne faisait même pas froid. Elle ne se souvient pas du visage de la personne qui l'a déposé sur le parvis de cette église. Ses traits appartiennent aux ombres de cette capuche qui les couvrait. Elle a vaguement souvenir, elle croit de la sensation de chaleur qui la quitte alors qu'on la pose contre cette porte de bois imposante. Il est tard, il fait nuit et rapidement, elle se retrouve seule. Le vent souffle et glace ses joues de poupée alors qu'elle se recroqueville sur elle-même. Elle attend persuadée dans l'innocence de l'enfance que cette personne va revenir, mais il n'y a que le vide autour d'elle et rapidement, elle se met à sangloter alors qu'elle appelle celle qui l'a laissé.
Les heures passent, la nuit même. L'enfant est transie et se laisse bercer par la faucheuse qui fait danser sa lame au dessus de son fil de vie. Elle s'endort, se laisse partir alors que ses larmes se cristallisent sur ses joues rouges.
Lorsqu'elle se réveille, elle est emmitouflée dans une couverture épaisse et étreinte par des bras puissants qu'elle ne connait pas mais qui la cajolent. Elle ouvre faiblement ses yeux et aperçoit des lumières de couleur qui dansent au dessus d'elle et du visage d'homme qui lui sourit doucement. Elle clos ses paupières à nouveau, quittant doucement sa léthargie morbide pour revenir à un sommeil réparateur.
Adoptée
On l'a appelé Sorcha, en écho à ses yeux bleus. Ses yeux qu'on disait souvent trop gros pour son visage. Elle qui aurait du mourir, se voit offrir une seconde chance par la vie et grandit choyée au cœur d'une troupe de saltimbanques qui de passage dans le village où elle était, avait récupéré cette petite masse informe plus froide que la pierre. Ils n'avaient pas été certains qu'elle s'en sortirait, mais elle avait tenu bon. Le matin suivant, elle avait mangé avec appétit.
Elle était petite et s'était vite adaptée à ces nouvelles personnes. Il y avait eu quelques nuits où elle avait pleuré celle qui l'avait mise au monde, mais la troupe avait vite comblé ce manque. Sorcha n'avait pas un père et une mère à proprement parler, mais elle avait des oncles et des tantes à foison tous disposés à prendre soin d'elle. Elle dormait rarement dans la même roulotte, aimant aller dormir un peu avec tout le monde.
Elle les suivit partout à travers l'Angleterre. Enfant, elle les aidait à prendre soin des chevaux et à se préparer avant les représentations, même si son rôle constituait à préparer les costumes et à "aider" à la coiffure. Elle adorait ça et n'était jamais loin de la scène, toujours dissimulée derrière un pan de rideau ! Elle se sentait à sa place parmi eux, à vivre cette vie d'art et de voyage.
Saltimbanque
Très vite, Sorcha attrape le virus de la danse. Elle passe son temps à regarder la troupe répéter les spectacles et il ne lui faut pas longtemps pour avoir envie d'en faire autant ! Si sa famille joue de toutes les performances, c'est la danse elle, qui l'appelle et il se trouve qu'elle y a de véritables dispositions. Mais sa véritable histoire d'amour née plus tard, à l'adolescence, lorsqu'elle découvre le trapèze. Elle ne le quittera presque plus, passant quasiment ses journées à évoluer sur ce morceau de bois suspendu, jusqu'à ce qu'il devienne un véritable prolongement d'elle-même.
Un beau jour, on lui annonce que si elle le souhaite, elle peut se produire sur scène et faire une démonstration de ce qu'elle a mit tant de temps à maîtriser. Elle accepte instantanément ! Dès qu'elle pose un pied sur les planches, elle se sent grisée et tombe amoureuse de cette sensation ! L'émerveillement dans les yeux du public, leur souffle coupé lorsqu'elle exécute une figure difficile, leurs applaudissements... Elle ne veut plus jamais vivre sans ça !
Prostituée
Le temps file et si son corps demeure longiligne, gracile, il prend néanmoins des courbes plus adultes. Plus féminines. Sorcha n'a pas la poitrine généreuse de certaines bohémiennes de la troupe, les hanches qui ressortent tel un sablier comme d'autres. Elle ignore si elle se trouve jolie ou non car elle a tout entendu concernant son physique, mais ce qui est sûr c'est que le regard des hommes commence à changer sur elle.
A mesure que les années passent la générosité des gens selon les villes que la troupe visite est restreinte au point que parfois, ils n'ont pas assez de recette pour pouvoir nourrir et les chevaux et la famille. Les économies sont vite avalées en plein hiver et rapidement, c'est la misère qui les attend si une solution n'est pas trouvée.
Elle apparaît lors d'un passage dans le duché de Kent, lorsqu'un homme propose une jolie somme au chef des saltimbanques en échange d'un moment avec Sorcha après avoir vu son numéro de trapèze. Si lui est retissant, Sorcha elle dotée tempérament pragmatique forgé par la vie qu'elle a mené jusqu'à présent, accepte avec aplomb à sa place, se disant que ce n'est l'affaire que d'une heure ou deux.
Mais ce qui devait être unique, occasionnel, finit par se reproduire au point de presque devenir une routine pour la jeune femme. Elle ne s'en plaint pas. Jamais. Elle fait ce qu'elle a à faire pour aider les siens. Pour manger. Il n'y a aucune honte à avoir ! D'autres en font leur métier après tout ! Elle pense juste à autre chose le temps que ça dure. En général, ce n'est jamais bien long !
Fiancée
Si elle s'accommode de sa vie, y trouve son équilibre malgré certaines nuits plus difficiles que d'autre, vient un moment où Sorcha en a assez de vendre son corps au plus offrant. Lorsqu'un de ses prétendant lui demande sa main, un homme plus âgé qu'elle, elle refuse d'abord en lui riant au nez mais doucement, sa proposition fait son chemin dans sa tête.
Il ne lui plait pas certes, mais en même temps depuis combien de temps a-t-elle eu un amant auquel elle ait été vraiment attachée ? Celui-là n'est pas Crésus, mais il a une demeure spacieuse et des revenus confortable puisqu'il est dans le commerce du thé. Il offre à Sorcha protection et surtout une échappatoire à cette vie de prostitution.
Appâtée par la perspective d'une vie plus "rangée", Sorcha accepte finalement la proposition et quitte les siens, bien que difficilement. Elle regrette de ne pouvoir aller à Londres où la Reine a invité la troupe à se produire, mais son futur époux refuse qu'elle y aille performer une dernière fois. Il craint que la Noblesse présente à la Capitale en cette période ne lui ravisse sa fiancée et il refuse qu'elle s'exhibe d'avantage sur son trapèze.
Trapéziste
Si elle se plie un temps à son nouveau quotidien de femme au foyer, Sorcha finit par s'ennuyer profondément dans cette nouvelle vie qui lui montre finalement un bien triste avenir. Son trapèze lui manque. La troupe lui manque. La scène lui manque.
Alors qu'elle lave une écuelle, elle observe la maison qui l'entoure. Tout est silencieux. Terne. Morne. Il n'y a pas de lumières de couleur ! Pas le vertige de virevolter suspendue dans les airs ! Pas les applaudissements des gens !
Elle se sent suffoquer et quelques jours à peine avant ses noces, elle décide de s'enfuir et de rejoindre Londres où elle file rejoindre sa troupe qui l'accueille à nouveau en son sein à bras ouverts. Sorcha reprend son entrainement, trop impatiente d'aller à la Cour !
Elle sait ce à quoi elle choisit de retourner en ayant pris cette décision... Mais dès qu'elle retrouve sa roulotte et son trapèze qu'elle y a suspendu tel une balançoire en plein milieu, elle sait qu'elle a prit la bonne décision.
Pour le reste, elle verra au jour le jour ! Comme elle l'a toujours fait.