Reposant la veste sur mon lit, je soupire. Une nouvelle fois. Il y a bien longtemps que je n'ai pas ressenti autant de choses, si pures et en même temps, si effrayantes. L'entrée à l'école de médecine peut-être. Le stresse, les mains qui tremblent, et le coeur qui semble prêt à exploser. J'avais oublié ce que ça faisait. Car même les combats ne m'apportent pas autant d'angoisse. Angoisse. Est-ce vraiment l'état dans lequel je me sens? N'est-ce pas censé être beau et plus doux que ça? Ce jour si attendu pour certains, celui où tout prend un sens, où tout évolue?
Alors que je fais les cents pas dans ma chambre, quelques coups résonnent contre le bois de la porte d'entrée. Je m'arrête un instant, incitant à mon visiteur d'entrer. C'est sans surprise que je retrouve ma mère, un sourire sur les lèvres avec un plateau dans les mains. Un instant, je redeviens enfant, prêt à me jeter sur la tasse de lait chaud qu'elle m'apporte, accompagnée de quelques gâteaux sucrés.
« Mère, comment saviez-vous que j'aurai besoin d'un lait chaud?»« Une mère sent ces choses là. »Je ne peux que lui sourire, et elle finit par s'assoir sur le petit fauteuil près de mon bureau, posant le plateau. Elle ne me dit rien, mais le regard qu'elle porte vers la veste que je viens de poser en dit long. Elle le sait. Je suis tellement stressé que j'ai l'impression que je vais exploser. Je ne devrais pas, car il s'agit de Victoria. Tout est si simple. Mais pourtant, c'est bien le cas. Lors de nos différentes rencontres ces derniers jours, sa seule présence était une bouffée d'air frais durant cette saison. Et Mère l'a bien vue. Elle m'a avoué la trouver exquise et réellement intéressante. Son point de vue m'a fait chaud au coeur, car pour une fois, je n'avais personne pour contredire mes choix, mes relations, et mes préférences.
"Il me semble qu'il serait peut-être temps de faire envoyer quelques fleurs à cette demoiselle mon chéri.... Ne crois-tu pas?"
Elle avait eu raison. Le jour de la fête des arts, j'ai passé plusieurs heures à réfléchir dans ma chambre, à penser à toutes les possibilités, à tout ce qui se passait ou plutôt se bousculait dans ma tête. Il était clair que Victoria était plus importante que ce que je pensais. Et peut-être effectivement était-il temps? Mais je n'ai pas réussi à envoyer des fleurs, j'ignore encore pourquoi. J'ai simplement envoyé une missive à son frère, dans laquelle j'ai demandé une entrevue. C'est avec soulagement que j'ai obtenu son accord, mentionnant aussi la rencontre avec l'homme qui semblait si cher à son coeur. Et ce jour, ce fameux jour, était là.
« Est-ce normal? Cette sensation d'étouffer? »« Oui chéri. C'est tout à fait normal. Cela veut dire que les sentiments sont nobles. »Les sentiments? J'ignore exactement quels sentiments ont pris possession de moi, mais quels qu'ils soient, c'est une sensation étrange et grandement déstabilisante. Comment garder de l'assurance avec ça? Je ne veux pas passer pour un jeune béta sans rien à raconter devant Victoria, elle se moquera bien de mon flegme. Mais devant son frère, le Duc? Encore moins. Mon père ne me le pardonnerait pas.
Ma mère se redresse finalement, attrape la veste sur mon lit, et après s'être placée derrière moi, m'aide à l'enfiler. Elle me chuchote des mots tendres, me motive et me soutient de tout son coeur, et je ne peux que l'en remercier. Sa main se pose sur ma joue et je sourie, avant de laisser ma tête exercer sur elle une légère pression comme pour apprécier le geste.
« Je suis content de vous avoir ici Mère. »Le temps sans elle est long, et sa présence à Londres m'aide énormément. Elle m'incite finalement à me hâter afin de ne pas être en retard, et je me rend à l'écurie pour prendre un cheval. Peut-être aurai-je du choisir une voiture, mais je ne veux pas paraitre trop guindé devant elle, ce ne serait pas moi. Très vite, je m'arrête chez une fleuriste pour faire préparer un joli bouquet de roses couleur rose pale, couleur qui me rappellent les jolies joues de Victoria, et je m'empresse de reprendre la route jusqu'à notre point de rendez-vous, les jardins de Leicester Square. Bien que peu visités, ce sont des jardins qui m'ont toujours plus et je voulais voir ce qu'elle en pensait, elle qui aimait tant les fleurs.
J'arrive à l'heure, un sourire sur les lèvres, je replace la montre à gousset dans ma poche et descend de cheval. Je l'attache dans un coin, demandant à un jeune garçon de me le garder quelques heures contre quelques penny. Les jeunes garçons de cette trempe sont toujours enchantés de se rendre utiles et de gagner quelques sous. Je passe les mains sur les pants de ma veste pour la défroisser un peu, vérifie qu'elle est bien en place et je commence à marcher. Mère m'a conseillé de mettre un costume dans les tons marine, pour ne pas avoir l'air trop triste en noir mais être tout de même classe. J'espère que cela sera à la hauteur de la demoiselle.